ET MOURIR

1 mai 2021

 

Il nous arrive de regarder notre vie d’un bout à l’autre, comme un paysage dont nous saisirions l’immensité d’un seul mot. Mais quel chemin entre soi et le monde, quand le mot dit et redit se perd à son tour dans l’étendue ? Ne faut-il pas approcher la mort, en s’avançant chaque jour, jusqu’à elle, comme nous irions au devant de la mer ?

L'Harmattan - Poètes des cinq continents - 2021

AIMER

1 mai 2021

S’il fallait dire un dernier mot de l’Amour en le retraversant comme un pays, à la fois dans son « confinement » et son ouverture, quelle poésie appelée à l’aide viendrait au secours de notre cœur ? Car, comme le dit Rilke, « tout ange est d’angoisse ». L’amour, « bande de terre féconde entre le fleuve et le roc » n’est accessible au voyageur que s’il s’élance et se retient à la fois, aventurier d’un monde intérieur sans forme définitive et pourtant inscrit dans l’histoire, la géographie et le mystère de toute vie. Cela tourne avec le voyageur comme la Terre elle-même, manège d’amour au paradis de quelle enfance ?

L'Harmattan - Poètes des cinq continents - 2021

AIMER

1 mai 2021

S’il fallait dire un dernier mot de l’Amour en le retraversant comme un pays, à la fois dans son « confinement » et son ouverture, quelle poésie appelée à l’aide viendrait au secours de notre cœur ? Car, comme le dit Rilke, « tout ange est d’angoisse ». L’amour, « bande de terre féconde entre le fleuve et le roc » n’est accessible au voyageur que s’il s’élance et se retient à la fois, aventurier d’un monde intérieur sans forme définitive et pourtant inscrit dans l’histoire, la géographie et le mystère de toute vie. Cela tourne avec le voyageur comme la Terre elle-même, manège d’amour au paradis de quelle enfance ?

L'Harmattan - Poètes des cinq continents - 2021

Inceste et Pouvoir

L’Inceste est une maladie du Pouvoir. Il traverse la famille et tous les lieux où s’exerce « l’appropriation de l’autre » au nom d’une autorité qui n’a pas toujours besoin de la violence pour s’imposer. Qu’il soit poursuivi par la Justice depuis plus longtemps que ne le donne à penser le bruit du moment n’empêche pas de resituer le crime par rapport à d’autres abus qui font de la sexualité l’instrument d’un esclavage qui ne dit pas son nom.

Réduite en son temps à l’intimité, ou déplacée sur des services plus ou moins discrets, la sexualité n’a longtemps servi la cause du pouvoir qu’en se dissimulant derrière des masques plus ou moins transparents. Puis elle s’est « libérée ». Elle a même vu bon nombre d’intellectuels saluer en Sade l’apôtre d’une libération qui aura notamment permis de faire passer la pédophilie pour la supposée juste satisfaction d’un besoin, voire d’un désir, de l’enfant ou de l’adolescent1. Cette perversion pseudo-révolutionnaire aura permis d’escamoter plus largement la question de l’abus de pouvoir, quand celui-ci est exercé par une élite auto proclamée protectrice de l’Homme et de ses droits. Que certes le Royaume de Danemark soit pourri depuis au moins Shakespeare n’est pas une découverte ! Que le pouvoir politique ne se suffise pas à lui-même et s’offre les bénéfices de la débauche ou de la corruption, cela se sait depuis toujours. L’histoire même de la Sainte Eglise et de bien d’autres institutions reste édifiante sur ce sujet.

Mais aujourd’hui, non seulement les victimes se sentent de moins en moins coupables, mais elles comprennent que le mal est une réalité irréductible à la supposée pathologie des agresseurs. Il est bel et bien lié au fond commun de haine qui fait de l’homme « un loup pour l’homme ». S’il est certes naïf que, dans son combat, le féminisme actuel pense que la suprématie du mâle – de préférence blanc – se trouve être la seule menace en matière de « respect de l’autre », il n’en reste pas moins essentiel de resituer la question du pouvoir par rapport aux pulsions notamment sexuelles qu’il met en jeu.

Disons-le donc : dans une démocratie, la toute-puissance du Roi et la mise en scène de son phallus semblent s’effacer derrière les arrangements électoraux et les figures médiatisées de la représentation nationale. Il n’en reste pas moins que « l’élite », bel et bien élue d’une manière ou d’une autre, s’attache au pouvoir pour en jouir. Cette vérité doit être regardée en face. Le pouvoir politique lui-même devient vite incestueux, si tant est qu’il ne le soit pas dès l’origine. Il s’éclaire aujourd’hui – après Freud – d’une compréhension de la sexualité en tant qu’elle dépasse le comportement érotique stricto sensu et structure aussi bien les relations de la personne avec elle-même qu’avec les autres. Sous cet aspect, on peut dire que le scandale de « La familia grande »2 touche la construction même du pouvoir politique. Après Dominique Stauss-Kahn, l’économiste tant attendu, une « famille » politique parée des flambeaux de l’intelligence et de l’altruisme apparaît, non pas seulement dans sa nudité, mais dans son costume de faux-semblants. On peut ajouter qu’une complicité « objective »3 lie entre eux des hommes de pouvoir que rapprochent – par-delà l’arrivisme lui-même – non seulement leur aspiration à faire partie des meilleurs (les plus forts), mais le pieux désir d’oeuvrer pour la Justice et le Bien Public.

Or certainement le peuple rêve aujourd’hui d’une élite plus crédible. Le « touche-pipi » et le partage des dépouilles de l’innocence violée le conduisent à espérer dans un pouvoir supposé d’une seule pièce : un chef dur mais fort, supposé délivré des régressions infantiles. Illusion coûteuse, comme l’on sait !

On ferait mieux de refonder la démocratie – pendant qu’il en est temps – sur la conscience qu’elle exige de ceux qui en assument directement ou indirectement la charge. Car il est clair que l’exercice du pouvoir demande encore davantage que de l’intelligence et de l’habileté. La maturité d’une conscience éclairée sur elle-même est aujourd’hui plus nécessaire que jamais. Elle procède d’une « connaissance de soi » qui ne s’apprend ni dans les « grandes écoles », ni même dans les réussites d’une carrière préalable. Qu’elle soit politique ou non, cette sagesse – déjà réclamée au temps de la Grèce antique – implique aujourd’hui que le désir d’exercer le pouvoir soit l’objet non seulement d’un contrôle institutionnel, mais d’un contrôle personnel. Il revient en effet à ceux qui désirent le pouvoir de mettre ce désir à l’épreuve de leur lucidité, laquelle n’est donnée, on le sait, ni par la Morale, ni par la Justice. Les chefs, comme les pères, voire les derniers prêtres, ne peuvent s’abriter de leur psyché en se réfugiant dans la technicité du pouvoir. Leur situation sollicite en eux des fantasmes qui leur font revivre le temps où ils se prenaient pour des dieux. Que ces nouveaux rois n’ont-ils un « fou » (plutôt qu’un conseiller à leur ressemblance) pour leur ouvrir les yeux ?

Jean-Pierre Bigeault,
30 janvier 2021

1 Cf. l’affaire Matzneff et le milieu qui l’a soutenue.
2 Cf. Camille Kouchner, Ed. Du Seuil.
3 Cf. in Le Monde du 27 janvier 2021 par Ariane Chemin : « Affaire Duhamel : Jean VEIL, l’ami avocat qui savait tout. »

BONNE ANNEE

Et si Covid-19 avait aussi bon dos ? Si le monde se complaisait à se voir dans le miroir de sa maladie ? Après la peur du Péché, figure du Mal, celle de la Mort ! Cette mort, à la fois déniée tous les jours et si obsessionnellement présente que la Santé dite publique justifie aujourd’hui qu’on lui consacre directement et indirectement des milliards jusque-là introuvables ! L’Education comme la Défense nationale n’auront jamais mérité autant d’efforts ! Et quant au coût de l’opération en termes de libertés (individuelles et collectives), sans compter les effets médico-psychologiques et sociaux de leurs restrictions, qui oserait s’en inquiéter dans un monde qui ne demande qu’à « survivre » à n’importe quel prix ?

Et si le prix, c’était l’asservissement de l’Homme au profit de tyrans discrets qui, pour avoir changé de formes, n’en restent pas moins les figures faustiennes qui nous promettent le paradis sur terre ! Une religion – qu’on l’appelle Consommation (y compris au sens pharmaco-économique) ou « avènement de l’homme augmenté » – offre son opium quotidien et collectif en lieu et place des promesses offertes par les églises en mal d’inspiration. L’Occident chrétien et ses émules y perdent leur identité, comme en son sein autrefois, la Grèce et la Rome antique. Ces leçons de l’histoire et les réflexions des vieux sages en la matière sont oubliées, voire déniées, comme si c’était le passé qui infectait le présent de ses maladies. L’urgence d’un nouveau « salut » par l’innocence retrouvée invoque aujourd’hui la Nature, figure en effet de la victime abusée. Les glapissements de l’écologie feraient sourire, s’ils n’exprimaient pas à raison ce que le Progrès véhicule aussi bien lui-même de menaces de mort. Décidément la Mort, sortie à toute force par la porte, rentre par la fenêtre ! Car la Nature, rappelée à grand bruit, n’est pas qu’une collection de gaz à remettre en ordre. Sa pureté chantée par les romantiques (et les Nazis !) et assimilées par ses dévots post-modernes à quelque grâce originaire n’est-elle pas aussi pour partie un leurre ? Sous l’obsession du « retour à la vie », n’est-ce pas le déni de la mort qui reste à l’œuvre ? Car, que serait précisément la Nature sans la Mort qui conditionne son élan voire sa créativité ? Que le rejet de la mort s’allie, sous le prétexte d’un « droit à l’éternité » à un rejet du renouveau – et donc de la jeunesse – devrait alerter tous ceux qui ne font des enfants que pour se survivre à eux-mêmes. Il serait temps que le « moi humain » accepte son animalité et la loi qu’à cet égard lui impose la Nature. Il en sortirait plus grandi qu’en se voulant Dieu contre la vie elle-même, n’en déplaise aux nouveaux génies du surnaturel ! Bien des « philosophes » aussi inconnus que peu diplômés quittent la vie modestement. Et s’ils ne sont ni des héros ni des saints, ni même des « savants », peut-être n’en sont-ils que plus grands. Pouvons-nous regarder la Mort comme en toute Vie sa force ? Et sans attendre la guerre qui sanctionne, dirait-on, le déni de réalité dont notre humanité se punit régulièrement par le suicide.

Donner à la Mort le sens positif de l’effacement, comme d’ailleurs celui de l’artiste lui-même derrière son œuvre, si elle vise plus loin que le succès, serait une victoire aussi intime que sociale par ces temps de narcissisme à tout va.

Faisons ce vœu ! Et BONNE ANNEE à tous en préparant des jours meilleurs.

Poète, prends ton luth et ta lutte !

Jean-Pierre Bigeault,
3 janvier 2021

« C’est pour ton bien »

La peur de la Mort est donc devenue – comme celle, autrefois, de la damnation – un objet parfaitement concret et utilisable par les pouvoirs, si laïques et démocratiques soient-ils par ailleurs. Une religion profane de la Santé s’est imposée peu à peu à des peuples bercés par les progrès de la Science et le développement exponentiel de l’industrie pharmaceutique. Le Bien du « bien portant » a fini par récupérer ce que le Bien – au sens moral – portait en lui d’idéal. Le « niveau de vie » intégrant aujourd’hui le « niveau de santé », la guerre contre la mort relève donc d’une action politique de protection, appelée sociale sinon universelle. Ce progrès n’est pas sans risque. La Santé dite publique peut devenir un levier du Pouvoir tout aussi important et dangereux que le fut en son temps et, au nom de la morale, celui de l’Église. Un Sauveur peut toujours décider de restreindre les libertés au bénéfice d’une Santé publique devenue – comme peut l’être aussi bien l’Économie – le Bien supérieur d’un peuple.

La République n’est pas une assurance vie contre la mort. Elle ne peut contribuer à remettre la mort à sa place qu’en contribuant à déplacer l’objectif de la vie « à tout prix » vers celui d’une vie juste, laquelle ne fait pas seulement appel à la loi, mais à la responsabilité des citoyens comme bien sûr à celle de l’Etat. La peur de la Mort soutient la déresponsabilisation de l’homme, son infantilisation au service d’un pouvoir qui le mystifie.

Les marchands de santé1 gagnent trop d’argent pour que la vertu économique du salut dont il est ici question, n’en montre pas du doigt la construction perverse. Un certain clergé fut en son temps le profiteur d’une misère savamment justifiée. Les Princes ont besoin d’une Eglise, fût-elle savante, pour asseoir leur légitimité temporelle. Et la mort est une affaire qui marche. Comment ramener sa menace aux justes proportions d’une exigence qui appartient à la vie ? Comment dépasser l’idée que nous serions, par le fait d’une élection étrangement concentrée de notre moi, le tout d’un Dieu non-dit et soigneusement superposable à notre identité, fût-ce par temps d’athéisme ? Qu’il faille se sauver en consentant à s’échapper pourrait être le mot d’une théorie modeste et qui, sans qu’elle soit dite, aura sans doute été plus d’une fois, celle des héros les plus authentiques.

Jean-Pierre Bigeault,
26 décembre 2020

1 On aura compris qu’il ne s’agit pas de ceux – praticiens de la médecine ou chercheurs – qui ne sont pas côtés en Bourse.

De l’engagement – Cause et désir

L’engagement est un vieux mot. Il a un accent guerrier. Son malheur lui est souvent venu de l’usage politique qu’on en a fait. Ne faut-il pas des militants pour exorciser la passivité du peuple ?

Des Causes, supposées moins institutionnelles, voire contre-institutionnelles, suscitent aujourd’hui, par-delà les partis, des engagements plus ou moins spectaculaires, voire discrets. Des idéaux qui tentent de se libérer des appareils et des jeux de pouvoir se redessinent sur fond de malheurs présents ou à venir.

L’implication personnelle dans une action qui, à quelques égards, s’impose à ce qu’on appelle communément la conscience donne au travail requis la dignité du désir de l’accomplir en raison d’une finalité digne de ce nom (la Cause).

Il y a une gratuité de l’engagement. Le but poursuivi est au-dessus de l’intérêt personnel. Mais l’engagement, s’il ne répond à un désir profond de celui ou de celle qui s’engage, ne tient pas la route. L’engagé qui « n’y croit plus » est un poids mort pour lui-même et pour le groupe éventuel dont il fait partie.

Il s’agit donc, semble-t-il, à la fois de définir ce qu’il y a au-dessus de l’intérêt personnel (la Cause) et ce dont est fait tout aussi bien cet intérêt personnel. Les difficultés de l’engagement tiennent souvent à la confusion entre ces deux ordres de réalité.

L’engagement doit sans doute associer la lucidité à l’enthousiasme. C’est donc aussi un chemin qui se fait.

Jean-Pierre Bigeault
In : Les Cahiers de l’EFPP, n°31, automne 2020

Malaise

Quelle révolte rampante s’exprime sous la forme du doute – voire plus violemment – alors que le nouveau confinement bénéficie d’un amoncellement de justifications sous la forme de chiffres et de discours supposés mobilisateurs ?

Ne pourrait-on penser que le seul horizon proposé en termes de « malades, mourants, morts », ne fait que développer l’angoisse ? Imagine-t-on en effet qu’on puisse conduire une vraie guerre en informant jour après jour les combattants du nombre de pertes ?

Or, cette démarche, directement conduite par le « Comité scientifique », n’appelle-t-elle pas elle-même bien des réserves ? Dans son principe, le Politique – quand bien même il doit prendre en compte la situation de la Santé publique – n’est-il pas le seul habilité, tant symboliquement que pratiquement à prendre des décisions sur un sujet irréductible à sa seule dimension médicale ? Cet « abandon » du Pouvoir représentatif, déjà lui-même remis en cause à bien d’autres titres, ne saurait rassurer ; et cela d’autant moins que sa nature technocratique de plus en plus évidente entretient le sentiment qu’il a perdu le contact avec bien des réalités.

A travers ces évolutions, une véritable crise idéologique gagne peu à peu la France et elle est sans doute plus grave, à terme, que l’épidémie en cours. Tout se passe en effet comme si, dans l’incertitude où se trouve la Science elle-même, sa place au niveau décisionnaire relevait en effet d’un « appel » d’une autre nature. La Santé, présentée ainsi vis-à-vis des autres réalités comme une sorte de bien absolu devient une valeur suprême. Elle justifie en particulier la suspension de plusieurs libertés essentielles, ou à tout le moins leur limitation (l’Egalité et la Fraternité n’étant d’ailleurs même plus à l’ordre du jour), sans parler de la mise en danger socio-économique et évidemment psychologique de bien des citoyens. Certes, cette quasi « religion » qui ne dit pas son nom, met le corps et sa survie là où l’on a longtemps mis l’âme, le salut de l’un comme de l’autre exigeant des sacrifices. A travers ces bienveillants projets, on ne peut pas ne pas s’interroger sur la nature des sentiments qui animent les nouveaux « sauveurs » du Peuple. Comment en effet, non seulement oublier ce contre quoi la Révolution française s’est en son temps levée, ou, plus près de nous, la « mission » que s’octroya le gouvernement de Vichy ? Sauver les gens contre eux-mêmes, fût-ce en les conviant à se soumettre à la loi de l’ennemi pour sauver, et leur peau et leur âme, fut payé au prix que l’on sait : bien des peaux trouées de balles et combien d’  « âmes » soumises à la Peur, y laissant pour longtemps cette confiance en soi à défaut de laquelle la passivité redevient vite soumission.

Aujourd’hui, combien aurons-nous de « morts » causées par le vrai virus qu’est la Peur organisée par le pouvoir en place ? Une tranche significative de la population – parmi les jeunes et quelques très vieux (comme moi) – se pose la question. Face à une élite aussi arrogante qu’ignorante de la « vraie vie », un peuple infantilisé ne réclame une protection quasi parentale qu’en méprisant ceux qui l’y poussent. La République en est atteinte. On sent confusément, voire de plus en plus clairement, que la réduction médico-politique du « survivre à tout prix » est un arrangement avec la vraie Défaite, telle que celle que prépara en son temps les tristement célèbres « Accords de Munich ».

On n’échappe pas à la guerre – la vraie – en ne voulant pas la voir, ni même en la déplaçant sur des ennemis qui ne sont pas hélas, les plus dangereux (et dont d’ailleurs on n’a jamais pris les mesures hospitalières préventives nécessaires à leur traitement). Une République toujours fragile, telle qu’on l’a vue il y a 80 ans, devrait encore une fois se mobiliser vis-à-vis de ce qui menace ses vraies valeurs. Les rêves de « bonne santé plus ou moins éternelle – constituent, avec ceux de la Consommation réparatrice le nouvel « opium du peuple », d’une culture et d’une société menacées de bien des côtés à la fois.

En d’autres termes, on peut penser que le doute – et la colère – qui s’emparent des Français vis-à-vis du traitement médico-politique de l’épidémie viennent d’un malaise à la fois plus vaste et plus profond que celui qu’on s’efforce de réduire à « l’espérance de vie », sauf à entendre celle-ci dans son acception la plus large. Avoir confiance dans ses propres forces – y compris dans celles d’un Pouvoir représentatif – est autre chose qu’obéir à des règles. Les combattants ne mobilisent leur courage que s’ils croient à la cause qu’ils défendent et à l’engagement de leurs chefs. La gestion technocratique des incidents comme des accidents d’un parcours républicain, non seulement ne crée pas la force qu’il requiert, mais elle la réduit. De ce point de vue, le mépris, hélas très médical ! des conditions psychologiques de la lutte contre la vraie maladie, ne fait qu’entériner l’étroitesse de vue et la faiblesse de trop de nos responsables politiques.

Jean-Pierre Bigeault
3 novembre 2020

EFFRACTION 2 – Poseurs de Lumière

Sous la direction de Philippe Tancelin

Un livre pour dire « le confinement » rassemble ce qui était séparé, caché, voire interdit – ce qui, à bien des égards, le demeure, quand les ressentis comme les jugements sur un moment de vie et de mort se font légion.

Cinquante auteurs, conviés à l’écriture – ou tout au moins à la publication – par Philippe Tancelin, lui-même poète, philosophe et éditeur – nous font vivre l’épidémie (de la corona…) en tant qu’elle questionne non seulement la Santé publique mais l’être humain à la fois dans son intimité de personne, et ses liens sociaux. La Poésie occupe dans ce « journal à plusieurs voix » la place qui lui revient, quand la pensée elle-même se trouve piégée par la sensibilité qu’elle refoule. Contre la peur qui stérilise, devançant elle-même la mort, quand la vie reste une promesse et une invention, et même une aventure de chaque jour, le cri et le chant de la libre réflexion d’une pensée qui rebondit sur des faits sans y rester collée, rouvrent les portes et les fenêtres d’une maison et d’une raison que l’étouffement menace.

cliquez ici pour commander le livre sur le site de l'éditeur

Couvre-feu

Pauvre France !

Mourir pour la liberté, cela s’est vu, voire être blessé à vie. Des hommes et des femmes, des jeunes et des moins jeunes, soldats de la République, résistants, civils, ont été sacrifiés pour que non seulement nous survivions physiquement, mais moralement aux agressions du dehors (l’Allemagne) et du dedans (Vichy). Cette histoire – que nous enterrons sous les manifestations convenues que l’on sait – est-elle donc sortie de notre mémoire ? Et ne serait-il pas temps de méditer ce que disait Goethe en son temps : « ce que tes parents t’ont légué, conquiers-le ! »

Or voilà bien qu’aujourd’hui la vie vaut plus que la liberté.

Voilà qu’un virus justifie que l’Etat (et ses technocrates) – sinon la République – remette en cause la liberté des citoyens (qu’il se plaît d’ailleurs à apeurer) pour sauver leur peau aux dépens de leur cœur et de leur âme. Le même Etat, érigé en Protecteur tous azimuts, fait pleuvoir des indemnités d’ailleurs insuffisantes pour parer aux effets économiques de la crise. Et comme cela en effet ne saurait suffire à recréer les conditions du fameux « vivre ensemble » (évidemment mis à mal par l’épidémie) il ne manque pas de faire appel à un moralisme vieux comme Vichy sinon davantage. Une pseudo éducation du peuple par la peur ne passe-t-elle pas par la bonne et vieille culpabilisation, cet opium du peuple ?

Ainsi le supposé consensus populaire sur la Santé publique et l’Etat protecteur est-il pour une large part le produit d’une politique qui développe l’asservissement plutôt que le courage.

Le courage est en effet le signe d’une vie qui se soutient d’un idéal.

A défaut de savoir traiter le virus – et accessoirement d’y mettre les moyens techniques en restaurant l’hôpital détruit par l’Etat lui-même – celui-ci caresse le Peuple dans le sens du poil (qui est celui de la Peur orchestrée à plaisir) plutôt qu’en l’aidant à se mobiliser courageusement non seulement pour sa survie physique et matérielle mais pour son honneur (égalité, fraternité) et pour sa liberté.

On en vient à penser que le gouvernement de ce pays n’a aucune vision de la République et des véritables dangers qui la menacent et qui menacent le peuple tout entier. Il apparaît comme le petit et mauvais gestionnaire d’une entreprise (économique mais pas seulement) en perte de vitesse, sinon en faillite. Le véritable « salut public » relève à cet égard de bien autre chose que d’un « couvre-feu » qui plonge en effet le Peuple dans l’ombre et, avec lui, la Nation.

Quant aux médias – relais trop souvent de cette politique hygièno-sécuritaire – ils courent eux-mêmes après les suffrages en collant à l’évènement sans prendre cette distance critique dont s’honorait en son temps le fameux Sirius, journaliste d’un de nos plus grands quotidiens.

L’évènement, comme le virus lui-même, fascine. Il entretient à plaisir une fascination collective qui, sans craindre le ridicule, se justifie elle-même par le recours officiel à une Science …qui ne sait rien ou pas grand-chose.

Ainsi donc le couvre-feu dit bien son nom. Il dit au citoyen : « Rentre chez toi et éteins la lumière ! ». Ce qui veut dire : « Laisse tomber cette société dangereuse et arrête-toi de penser ! ». Le feu qu’il s’agit de couvrir n’est pas celui de l’épidémie. C’est celui de la vie (d’ailleurs représentée ici par les loisirs, le fameux « otium » de nos ancêtres latins). Cette vie en tant qu’elle brûle en effet non seulement dans le corps de l’homme mais dans son rêve. Faut-il le redire ? la République est un rêve. La rationalité (d’ailleurs bien approximative) de nos « gestionnaires » ne sert que des intérêts (au sens le plus restrictif du mot) et non le bonheur du Peuple. Sans l’inspiration d’une foi (laïque) en ses valeurs et leur mise en pratique (dès l’Ecole Républicaine), son pouvoir décrédibilisé passera aux mains d’une dictature qui dira son nom. Une « patrie » – osons le mot ! – « en danger » mérite mieux que des apprentis sorciers diplômés qui ne couvrent le feu que parce qu’eux-mêmes en ont peur. Et en effet les passions d’un peuple qui ne sait plus à quel saint se vouer ont un pouvoir incendiaire qu’on ne saurait sous-estimer.

PS – Se battre contre l’ennemi invisible et apolitique qu’est le Covid-19 pourrait bel et bien se présenter comme un « front de diversion ». A l’heure où l’on décapite un professeur de collège comme à celle où l’on condamne « les petits et les sans grades » d’une société injuste, la « guerre » lancée au nom de la santé publique fait oublier le pire : la barbarie des forces financières et religieuses qui, de fait, s’en prend directement à nos valeurs. Vis-à-vis de ces ennemis-là, qu’elle soit subie ou voulue, l’impuissance politique se fait le lit de plus cruelles défaites.

17-10-2020
Jean-Pierre Bigeault