« FOU D’AMOUR » – Ou « Comment s’en débarrasser ? »

Adressé au journal Le Monde
2015

Le film de Philippe Ramos, « Fou d’amour », pourra rester, 60 ans après le crime du Curé d’Uruffe – dont il s’inspire – comme la tentative désespérée sinon d’une absolution du criminel, du moins de la dissolution du crime dans les « petits arrangements » d’une comédie dramatique d’assez bon ton.

L’abbé Guy Desnoyers, ou plutôt son substitut nettoyé à grande eau dans les rivières d’un pays qui pourrait être le paradis sur terre, y subit le sort normal (à l’époque) d’un criminel à qui s’applique la loi comme à tout un chacun : il est proprement guillotiné et, puisque malgré tout il parle encore, le réalisateur se saisit aimablement de sa tête pour lui faire dire qu’il n’aura lui-même été, dans toute cette affaire, qu’une victime.

Encore que, grâce à ce subterfuge, la fameuse « monstruosité » de ce prêtre – dénoncé aujourd’hui encore par tel théologien de service (qui ne se prive pas pour y voir une réincarnation diabolique des tyrans totalitaires) – soit renvoyée au Moyen Âge, on aimerait savoir ce que ce malheureux prêtre aura eu à subir pour en arriver là : assassiner sa maîtresse après lui avoir donné l’absolution, et baptiser l’enfant qu’il lui arrache du ventre avant de le poignarder.

Que ces faits – à la satisfaction générale – soient en partie escamotés à la fin de l’aventure quasi donjuanesque de ce joli curé bien reçu au château de sa paroisse, voilà en tous cas ce qui les ramène à des accidents de parcours. En les sanctionnant une bonne fois1, on pourra les faire passer par pertes et profits. On dira que l’Abbé a été victime de ses succès, un peu comme ces escrocs de bonne famille à qui on donnerait le Bon Dieu sans confession, jusqu’au moment où ils sont aspirés par le vide. Une bien triste histoire, après qu’on a souri et même ri de ces péchés somme toute « mignons » qui font de la sexualité comme d’une table bien servie le simple reflet du cadre naturel où ils se présentent. Faut-il ajouter que la luxure s’y pare même de la grâce, quand la maîtresse, idéalement aveugle, y incarne à elle seule la lumière des horizons transparents.

Mais la vérité – la difficile vérité de ce drame digne d’une antiquité toujours présente au cœur de l’homme – échappe à ce récit d’un « fait divers » qui aplatit la tragédie, comme le fait aussi bien de la rusticité des corps et des collines du vrai pays d’Uruffe un esthétisme sans faille. Que le goût du sacré et celui de la mort se rencontrent dans un érotisme dont Georges Bataille a montré le noyau d’angoisse, cela ne saurait trouver sa place dans un monde où le « passage à l’acte » n’est que l’effet d’un vice aussi dépourvu de sens qu’une bêtise.

Et voilà comment en 2015, alors que de pédophilies sans panache à des barbaries aussi spectaculaires que celles de nos Croisades, le Mal revient, on continue dans les salons, comme sur le Titanic, de faire jouer les violons de la sympathie et de la désapprobation mêlées. La réalité rugueuse d’un garçon de la campagne projeté – avec le savoir qu’on lui a laborieusement infusé – dans le village ouvrier dépourvu de grâce d’une Lorraine assez peu paradisiaque, n’a guère plus de poids que celle d’un gamin de banlieue qui tourne mal. Quand à l’Eglise à laquelle est ligoté ce prêtre qu’on renvoie paternellement à Dieu comme au Deus ex machina de sa psychologie forcément accessoire, on ne l’interroge pas plus qu’on ne le fait véritablement aujourd’hui de l’Ecole, fabricante avérée d’échec social et moral. Il était donc écrit que ces réalités accessibles seraient passées par la trappe, comme si elles risquaient de nous faire sortir de notre rêve.

« Fou d’amour » ne dit donc ni la folie – en ce qu’elle a de tragiquement ordinaire chez l’homme écartelé entre ses désirs – ni même l’amour, quand la sexualité dévergondée s’y efforce d’en faire sauter les verrous, comme si l’amour aussi nous menaçait.

Faut-il croire que Philippe Ramos, dans un souci d’apaisement, nous a fait revisiter Uruffe en touristes, le monde, ce « paradis perdu », ayant encore quelques beaux jours devant lui ? Mais l’homme, l’abbé Guy Desnoyers, n’est pas le reste pittoresque d’un monument un peu usé. Il est toujours vivant, comme l’a justement pressenti Philippe Ramos : il nous parle, il nous interroge. En tous cas, merci de nous l’avoir rappelé.

Jean-Pierre BIGEAULT
poète et psychanalyste


1 Plus radicalement que dans la réalité, puisque Guy Desnoyers fut, non pas guillotiné, mais condamné aux travaux forcés.

COMME UNE AILE

Ecran large d’un paysage atténué1

Nous marchons. Nous prenons l’œuvre à la marche au cœur de la nuit, sa blancheur, notre fidélité cosmique et c’est le jour :

« Ces pas de l’unique à l’aube
ciel qu’étire »2

Avons-nous jamais su le mot dans sa matière ? Fût-ce dire : « notre corps », et se lancer au fond du monde – et nous, en ce mélange de terre et de pensée au frémissement de l’eau, et buvant la lumière dans son triomphe.

Voyager dans l’œuvre si tôt ! Juste avant le lever de l’homme. Peindre, écrire au bord du désir de faire le tableau et son poème, comme si nous devions rêver ce qui fut : le coup d’envoi – cette intime clarté – dans son esquisse éperdue.

*

Quand l’espace nous revient au visage, quand il neige sur un pré qui s’enfonce dans la mer et que, au fond de la maison obscure le silence – comme un enfant oublié – se parle à lui-même, c’est un cri.

Je ne crois pas que l’art soit étranger à ceux qui le craignent. « Tout ange est terrible » dit le poète Rainer Maria Rilke.

« Ange dépecé / Éclisse / Détachée d’une foudre intacte »3 répond Françoise Jones.

Si je m’approche du monde, quand cette immensité de la maison vide se jette sur mes yeux et que je commence à voir, au milieu des vagues, le refuge d’une ombre, je pourrais danser entre l’eau et le ciel

« Habitacle d’un ciel d’image » 4
« trame que déploie
Ce pré
qu’un ocre pâle soulève »
5

Mais quel silence ! Il faut bien que les formes de cet espace s’ordonnent « à distance due »6, « histoire foulée à contre-jour »7 « comme une chute »8.

Et quand bien même nous marchons hardiment dans l’épaisseur avec les pierres et les « feuilles foulées d’une forêt close »9, ce monde nous parle :

« Convoi rauque de maisons qui furent demeures »

« Bute à l’abîme »10

Qu’il nous faille retrouver en nous le moment de nous en remettre à l’obscur et à sa neige pour suivre le fil qui relie notre vie à l’absence, là où l’abandon ne se comble que d’une attente, ne le savions-nous pas ? Mer ou désert, l’espace et le temps se font et se défont avec la moindre des étoiles. Œuvre de l’incessant effort et du repos, le secret de cette marche conjugue en nous l’effroi et l’espérance, et nous allons mystiques si l’on veut, le nez dans les pierres enfouies et rudes au vent qui les lance.

« Verdures au vide appendues
cris
noués
Transports d’ailes saisies »11

*

Si nous savions regarder le monde et l’homme comme ils sont, dans la rugosité de leur tendresse, si nous savions retrouver les coutures rustiques et fines de leurs assemblages, sans doute -irions-nous au bout de la nuit ?

C’est pourquoi nous devons longer « l’ourlet » de la « falaise », appui et marge du « jeu » de la vie jusqu’à « l’arrêt du fleuve, hors tout »12. Structure d’un espace qui traverse le temps, comme fait le souffle de saccade en étalement, mer et plaine, et montagne où se tiennent les secrets : la parole est écrite derrière ses propres signes. Cette vérité du monde est notre visage, « sable et poix »13 sous les plis de la neige. Et pour lentement surgir, encore plus lourds, de ces amas d’or et de sang dont nous brûlons, et pour doucement renaître de nos enfouissements, quel dessein rendre à la matière ?

Ce chemin ardu que nous avions pris sans le savoir, depuis que les mots nous avaient trahis, nous demandait aussi de le perdre aux « lises »14 – « tels confins instables »15 selon cette cruelle nécessité qui porte le poème « trame »16 de l’ombre.

Se taire enfin devant la mer !

Et comme, au-delà de soi, ce large reconquis sur le lointain – quand le corps se voue à d’autres vagues – ouvre l’espace, quelqu’un sera passé, sa force nous étonne, et c’est pourtant « sous l’herbe lente : Ton souffle »17

*

Nous sommes devant l’œuvre en plein jour. De nos yeux jusqu’à l’horizon, l’invisible commande le roulement des formes. C’est à l’intérieur du trait ou de la tache que se tient le mot retrouvé. Qui l’aura sourdement prononcé ? Quel naufragé lève sa paupière en feu ? Nous l’appelons monde. Nous l’appelons corps d’une âme errante, et pourtant l’esprit de l’espace sait où il va. La route est tracée sur notre front. Voyageur, suis ta route !

C’est ainsi que l’œuvre devient nôtre. Ce que nous avions appris de la mer, de la campagne mais aussi de la ville fut toujours plus que la construction de leurs formes qui ne font que traverser la lumière et la nuit, comme si nous les portions. La réalité nous habite. Inutile de rêver, puisque la pensée pèse sur sa balance le lourd passage des oiseaux migrateurs, quand les savoirs fuient l’hiver et tracent dans l’air les monuments de leurs voyages. L’art de vivre ici se détache avec les images et gagne le pays, « Transport d’ailes saisies »18. Travail. Ce qui travaille fait vie. Par ce mouvement d’antique violence le mot à mot sera repris et, de cri en cri, il rejoint la rude espérance.

*

Rumeur de l’être. Quelqu’un parle. Entre les fragments et les masses partis à l’aventure, quel soi demeure à l’horizon ou sur la pierre moussue ? Se taire mais dire l’ailleurs d’ici, le fragile passage et sa force, sans en faire un discours, en le serrant de près :

« Ouvrir l’oeil et puis le clore
sous la profusion du sang lever la veine forte
laisser sourdre l’infiltré
et, demi-tour, que par torsion
il réintègre ce qui, blanc de la page, est nuit de l’être
 »19

Quand le bruit et la fureur du monde se plaisent à se fondre dans le ruissellement linéaire des principes – voire leur géométrie bouffie – la main prend le pli de l’objet dans sa nudité d’anachorète, et le ciel se découvre. C’en est fini du mensonge : l’homme n’est ni un dieu ni cette poussière de cendre d’un feu perdu, il marche dans les étoiles. Il s’adresse à elles comme à des sœurs. Mais nul spectacle. Nulle célébration familiale, ni d’ailleurs militaire. Les déserts sont ce qu’ils sont, imprenables, sobrement attachés aux sporadiques et intermittentes vérités, ancrés dans le temps oscillant de leurs sables, et debout. Comme le regard. Comme la nuit des yeux, quand la solitude se met à peupler le cœur de ses ombres chères.

Il faut bien que l’œuvre chante un amour sans nom. Que le non nommé soit le vrai de ce qui, de forme en forme, nous unit à une essence, fût-ce un parfum. La fleur gravée dans un rocher n’est sans doute plus qu’un souvenir. Trace d’une aube au bout de la presqu’île. Au cap, quand Françoise Jones s’envole, les oiseaux de mer l’emportent et nous, droits devant tant d’espace pour une femme qui peint « Comme une aile / La joue du vent ».20

Jean-Pierre Bigeault
Janvier 2018


1 JONES (F.), in Feuilles foulées d’une forêt close, 2014.
2 JONES (F.), in Vert pourtant d’une nuit dormante, 2006.
3 JONES (F.), in Détachée d’une foudre intacte, 2009.
4 JONES (F.), in Feuilles foulées d’une forêt close, 2014.
5 JONES (F.), in Transports d’ailes saisies, 2003.
6 JONES (F.), in Feuilles foulées d’une forêt close, 2014.
7 JONES (F.), Tertres, 2001.
8 Idem.
9 JONES (F.), in Feuilles foulées d’une forêt close, 2014.
10 Idem.
11 JONES (F.), in Transports d’ailes saisies, 2003.
12 JONES (F.), Tertres, 2001.
13 JONES (F.), Tant se perdirent, in Le  Nouveau Commerce, 1996.
14 JONES (F.), Tertres, 2001.
15 JONES (F.), in Transports d’ailes saisies, 2003.
16 Idem.
17 JONES (F.), Tertres, 2001.
18 JONES (F.), in Transports d’ailes saisies, 2003.
19 JONES (F.), L’incontournable, in Ellébore 4, 1980.
20 JONES (F.), in Feuilles foulées d’une forêt close, 2014.

Annie Meunier – Pastels

 

Les tableaux de l’été que nous gardions en réserve de nos coeurs sont sortis un beau jour avec les enfants. Ils s’étaient cachés à notre insu (c’est ce que nous disions) dans la grande maison où il y avait tant de choses entreposées que la lumière n’y entrait pas.

Ce fut alors un village entier qui se découvrait avec ses maisons, ses jardins et ses oiseaux. L’eau de la rivière y avait ouvert une voie pour la parole, c’est-à-dire le passage musical par où les hommes pourraient faire descendre les pensées qui, dans les chambres, auraient fini par s’étouffer. Les fleurs et les fruits s’y rencontraient, un peu au dessus de l’eau, dans les feuillages de son miroitement mangé par le soleil, et à la hauteur des toits enfantins où vont jouer les maisons, quand elles en ont assez de se regarder, plantées devant les passages de la lumière, comme des messieurs et des dames d’autrefois.

Ce monde-là, suspendu au dessus de notre mémoire, se balançait sur un fil ténu, pas plus gros qu’un chant d’oiseau, et il résistait à la mélancolie des gros nuages, comme il en arrive qui nous pénètrent, si nous rentrons trop vite à l’intérieur de notre passé ! Mais les années, retravaillées par l’eau crue des moulins ou par les mains érodées des laveuses, n’avaient-elles pas ravivé leurs couleurs dans la profondeur retrouvée des images que blanchit le temps qui passe ? aLavées de neuf, transportées dans les arbres et accrochées aux plis du ciel que le vent avait pailleté de pluie, n’avaient-elles pas enflammé la fleur grande ouverte au fond des choses ?

Car l’été vient prendre aussi les choses, là où leur poids de simples choses les retient de s’aventurer jusqu’au désir humain. Il les aspire de tout le souffle dont il s’est gonflé en chevauchant les forêts d’eau. Il les pousse à traverser leur propre matière et à s’élever jusqu’au regard d’où, comme des dieux invisibles, elles sont capables de se modeler sur l’esprit, cette forme qui les tire du sommeil et, une fois réveillées, qui les fait accéder à la noble fluidité des signes. Les tableaux de l’été ainsi vus de tant d’yeux, le monde ancien qui s’était durci d’un hiver à l’autre s’est mis à s’écouler aussi doucement que le lait du jour, quand il affleure à la limite de l’eau et de l’air, devant la bouche d’un visage encore pris dans la nuit. La peau de ce visage, comme celle d’un fruit, avait développé, bien au-delà de sa chair, des bondissements qui avaient fait sauter les arbres, les clochers, les proclamations, les hymnes, sur des plages qui volaient. Car chaque chose, entrée dans le visage, y avait soulevé des sables, le désert de l’attente humaine y ayant enfoui ses puits pleins d’oiseaux.

Ainsi le moindre vase, veilleur précieux d’une table insulairement sommeilleuse, ou quelque silencieux fauteuil inféodé à l’ombre de ses assises, en savent-ils toujours plus long sur les recours de l’amour que le sentiment insistant de la perte, quand ce qui est perdu l’est depuis si longtemps que les choses – comme le corps – de ce temps-là où elles pleuraient déjà l’effacement ardent de la chute, n’étaient que des météores.

Mais la lumière dont elles sont aujourd’hui nourries est une aube sans cesse reprise à la nuit. Nous sommes de cette aube-là. Notre été, par la transparence de sa pierre, nous fait voir la vie touffue des feux d’étoiles, lorsqu’ils s’interpellent et se répondent dans notre sang.

Autour de nous, le village, d’une folie à l’autre – tout aussi secrète – faisait tourner son manège de collines à cheval et de vallons volants. Il y avait entre nos chemins d’intimité furtive et la grande roue de campagne cascadante, des accointances qui nous rendaient le jour plus familier dans son amoncellement de bagues et de bracelets aux reflets d’eau. Une femme dont le pinceau est un enfant les avait poussées jusqu’au soleil.

Jean-Pierre Bigeault – septembre 2010


 Pour aller plus loin, lire l’article de Karine Ringot :  « Annie Meunier, une montmartroise haute en couleur », sur le site montmartre-addict.com

GUERRE, MÉMOIRE … ET IMMÉMORABLE

I

Il est évidemment difficile de parler de la Guerre et de la Mémoire sans d’abord évoquer la situation présente.

La sidération qu’exercent sur nous les horreurs de la guerre – cette peur dont Bernanos disait dans « Les grands cimetières sous la lune », qu’elle est « un délire furieux » – ne nous prédispose pas à prendre le temps d’un regard à la fois distancé et, disons-le, créatif, tel que celui que nous offre la mémoire, quand elle sert au mieux les exigences souvent contradictoires de notre adaptation à la vie.

Nos esprits sont menacés par les images que nous tend – entre autres – le piège de l’information.

Or – pour y aller directement – je pense qu’il nous appartient d’en soumettre le flux à un traitement qu’on peut assimiler, comme j’essaierai de le montrer, au travail du poète, travail qui est aussi – je le dis également comme je le pense – le travail de chacun d’entre nous.

Ce propos peut surprendre et même choquer ; pourtant, j’ai choisi de vous exposer que la mémoire, comme la poésie, peut nous offrir un chemin détourné qui nous permette, dans le temps, de nous rapprocher d’une pensée de l’immémorable et même de l’impensable.

Ce chemin est celui que suit le poète et, dans mon livre, je l’appelle la Voix, cette voix humaine qui, dans l’homonymie de notre langue, désigne aussi le passage d’un monde à l’autre. C’est un tel chemin qu’ont emprunté tant de poètes depuis la nuit des temps ! Durant la dernière guerre, il a même si souvent rouvert l’espace confiné de la peur et du « délire furieux », qu’il est aujourd’hui permis de penser que l’affrontement du présent peut, comme celui du passé, bénéficier d’une approche décalée, une approche qui nous évite de nous laisser ligoter par ce que nous appelons « la réalité des faits ».

C’est donc aussi vis-à-vis de la pression des évènements que nous vivons, que je vous invite à ce décalage intempestif, ou, comme dirait Nietzsche « inactuel ». Mais n’est-ce pas le privilège de l’âge – je parle en tous cas du mien – que de pouvoir par avance se situer à contre temps d’une réalité trop prenante et qui, déjà, par l’étranglement qu’elle nous impose, nous empêche de respirer ?

Merci de me suivre sur ce chemin qui est aussi celui de notre souffle !

Je dois d’abord vous dire que j’ai écrit Le jeune homme et la guerre pour répondre à une sorte de nécessité devenue pressante, alors même qu’elle était imprévue. Mais je dois ajouter tout aussitôt que cette écriture – pourtant relativement concentrée – m’a demandé un temps assez long : la nécessité dont je parle avait besoin de cheminer en moi et même autour de moi comme une personne que j’aurais invitée à partager mon voyage et qui n’aurait accepté mon invitation qu’à la condition d’y jouer un rôle discret mais décisif. L’idée et les petites étapes de ce texte m’ont donc suivi en 2013 jusqu’en Italie sous la pluie bien connue qui donne au Lac Majeur l’air d’un bateau aussi sombre que les montagnes qui l’entourent. Sans doute peut-on penser que la musique, à laquelle je cédais peu à peu en faisant timidement avancer mes mots, trouvait dans ce paysage l’écho qui répondait à sa mélancolie. Ou bien c’était l’inverse. Ou bien c’était les deux à la fois. Mais la tristesse que je portais en moi n’appartenait tout à fait ni à une époque, ni à un pays. Elle se mélangeait tout aussi bien à un sentiment qui ressemblait à la luminosité des éclaircies qui, entre les ombres des nuages, donnaient aux eaux du Lac l’aspect d’un matin inattendu, un espoir mystérieusement venu d’ailleurs. Il me fallait comprendre que mon invité, si attristé et attristant qu’il fût, portait en lui cette lumière glissée entre les plis obscurs du malheur ; et c’était comme si le mort et la mort dont je voulais parler appartenaient aussi à l’été où Le jeune homme et la guerre s’étaient eux-mêmes rencontrés. Quel soleil pouvait ainsi – après tant d’années – éclairer d’un jour nouveau cette obscure tragédie dont il ne restait, sur le bord d’une petite route campagnarde, qu’un monument dégradé et d’ailleurs délaissé ? Si c’était le soleil de la mémoire, n’avançait-il pas masqué au-dessus de l’Histoire ? Un souvenir de guerre devait-il passer par la lente érosion de ses images pour retrouver, au cœur de l’évènement, ce qui traverse l’évènement et qui fait, longtemps après, que l’humain dans l’inhumain ressurgit ? Ce souvenir en forme de clair-obscur serait-il pour finir le miroir le plus éclairant, après que la mémoire, comme le monument dédié au Jeune homme, se serait disloquée et disséminée, rejoignant le fait lui-même, trop lourd et juste posé au bord de rien, une échauffourée sur le sentier de la guerre ?

Telles sont les premières questions que ce retour, à la fois inopiné et irrésistible d’un moment important de ma vie, me posait. Elles arrivaient selon certes un cheminement personnel, mais il me faut aussi penser que la nécessité intime qui me les inspirait, se conjuguait avec une autre, plus objective pourrait-on dire, plus collective, et qui s’inscrit de plus en plus nettement dans notre actualité : je veux parler de la guerre, qui, certes, n’a jamais cessé de par le monde depuis celle que nous n’avons tout de même pas oser appeler « la dernière », et qui, par-delà la banalisation des images, réapparaît aujourd’hui dans sa réalité tragiquement concrète.

Alors qu’en témoignent de plus en plus nombreux ces réfugiés qui ont le visage de ceux que nous avons vus il y a plus de 70 ans et qui étaient nos compatriotes chassés par les massacres, les massacres eux-mêmes nous reviennent, imprévisibles et pourtant attendus ; et avec eux cette peur insidieuse qui nourrit déjà le repli et la haine quand le courage et la solidarité ne l’emportent pas sur les démons rameutés !

Je dois donc penser que les prémisses de cette situation auront pu me pousser à solliciter ma mémoire comme si, l’interrogeant, je pouvais en espérer quelque réponse, ainsi qu’il arrive parfois spontanément, lorsque le présent nous revient du passé sous la forme incertaine d’un sentiment de « déjà vu ». Par delà l’information si pléthorique et indigente qui nous inonde aujourd’hui, il me fallait descendre dans le Mal attaché à la guerre, comme dans un puits, désuet mais toujours là. Il me fallait aller jusqu’à la petite nappe circulaire qui brille au fond et, l’ayant pourtant si longtemps perdue de vue, m’apercevoir que je pouvais la reconnaître. Ne devais-je pas parler de toute guerre, comme si, au fond de son absurdité, quelque sens caché pouvait lui être donné, tel que l’homme, non seulement agressé mais bafoué, s’y retrouve ? Et faire que sa dénonciation pourtant ne nous emporte pas avec elle dans le rejet, quand, au contraire, nous accolant aux victimes, il nous revient de suivre leur trace en nous pour nous lancer et nous relancer sur la voie de l’humanité, si souvent déjà piétinée dans la fausse paix de nos chaumières. Peut-être enfin, comme l’ont fait tant de poètes depuis Homère au moins, ne nous reste-t-il qu’à chanter ce qui devra subsister de l’homme sur ses propres ruines !

Il me fallait donc, au titre de cette nécessité objective, non seulement éclairer le présent par le passé, mais le passé lui-même par ce qui, dans notre aujourd’hui, se situe du côté de ce que le politologue Pierre Hassner (dans son dernier livre « La revanche des passions »*) appelle « le brouillage des repères ».

Car ce « brouillage des repères », ne l’avais-je pas connu, lorsqu’à la fin de la guerre les attaques monstrueuses qui avaient directement visé l’humanité de l’homme nous furent révélées ?

La parole des femmes déportées à Ravensbrück et qui, alors que j’étais en classe de seconde, étaient venues témoigner de l’enfer, n’avait-elle pas donné à l’horreur plus immédiate et, si l’on peut dire, plus naïve, que j’avais connue, l’allure d’un cauchemar prémonitoire réalisé ? De sorte qu’après les « camps de la mort », mon pauvre Jeune homme déchiqueté sous mes yeux, devenait déjà, dans mon souvenir encore brûlant, la porte ouverte sur un abîme. Et faut-il y rajouter la solution radicale et faussement propre qui devait faire – « pour en finir » comme on a dit – de Hiroshima et de Nagasaki, des tombeaux où enfermer la vie à jamais ?

Quelle mémoire saurait donc s’emparer de l’extrême sous l’aspect particulier de cette rupture des lignes et des repères, tout en nous permettant de ne pas sombrer dans l’abîme où se perdent nos images et nos idées ? Ou, pour le dire autrement, quelle mémoire nous aiderait à nous approcher de l’informe tel que l’oubli lui-même – où rôde l’angoisse – nous le désigne en creux ?

Je n’avais pas tout à fait conscience, au moment de l’écriture, que ces questions me taraudaient. Mais, après coup, et avant de vous dire ce que j’attends d’une certaine mémoire revisitée, quand cela est possible, par la poésie, il m’a semblé que nous devions nous rattacher au présent, l’évocation du passé n’étant qu’une manière de nous l’approprier « en connaissance de cause ».

Je donne donc ici la parole à Marie-Christine, pour que – par un premier détour du chemin que nous allons suivre – elle vous dise un extrait du poème que j’ai écrit après les attentats de janvier, et qui a été publié par Philippe Tancelin dans le collectif des Poètes des cinq continents intitulé Effraction **.

_

Une vérité pauvre

Une vérité pauvre est entrée dans la pierre
le front dur
quelle fleur d’avant toute chair
le temps fut à la peine
il y avait de l’homme
dans les volcans
le feu creusait
c’était un commencement
les espaces n’en finissaient pas de crier
quelqu’un a dit
rien ne peut se prévaloir
de porter la lumière
la vérité est une ombre.

Le corps de l’homme fut ainsi trouvé
c’était un matin
quelqu’un arrive
le temps de voir trouée la pierre
quelle tendresse à jamais démentie
l’enfant blessé
chaque fois le monde allait droit devant lui
portant sa nuit
une vérité pauvre est entrée dans l’homme.

Nous regardons l’intérieur de la tête
après cet éclatement
la pierre bleue rougeoyante
de ce petit soleil
le matin où cela s’est fait
quelle naissance
le monde allait droit devant lui.

Il n’y a rien à dire de la mort
une fois qu’elle s’est montrée
le temps est revenu à sa source
nous marchons dans l’absence
une vérité pauvre
les mains de ce malheur
sont vides
on dirait de la pierre
on dirait de l’homme.

La vérité pauvre s’est avancée
l’enfant à la blessure déjà trop grande
pierre déjà trouée
est-il un homme qui sache où est
ce qui est
quel arbre planté dans l’être
la petite vérité tremblante
feuillage du sang
y-a-t-il quelqu’un sous la fontaine
sous le cœur blanc de l’homme
sous toi.

Nous voudrions dire toi à l’homme qui tue
mais le mot se referme sur le malheur
chaque fois dans sa cruauté
l’enfant
nous ne savons plus si l’homme
au front dur
peut être aimé
nous ne savons plus si la pierre
soutient la vérité tendre
quelle vie suspendue
souffle
le pauvre petit vent
le roi est nu.

C’est un jour creusé dans le jour
il y a ce trou
nous marchons dans ce trou de lumière noire
où personne et rien se rencontrent
front contre front
chaque fois dans sa cruauté l’homme
une vérité sans yeux
le corps troué
l’enfant a failli naître
le saviez-vous
il allait sans savoir où
le pauvre petit vent de vérité.

Une vérité pauvre nous a fait hommes
nous a fait lever la tête
nous a poussés dans le désert d’étoiles
il neigeait
c’était Dieu qui tombait doucement
sur la plaie de notre front
quand la pierre
flamba
quelle misère pour un jour comme les autres
pour vivre
le temps était au beau
mais la beauté ne suffit pas
il y a eu ce froid autour de l’os
je suis cette matière du monde.

Mais l’enfant prend le visage adouci
d’une pensée
après la peur
il vient à la bouche de l’homme
qui dit l’incertitude chantonnante
le respect des espérances
le goût de l’herbe
la parole éperdue de l’étranger
nous ne voulons pas de la haine.

Une vérité pauvre est arrivée du fond du désastre
une fleur
les hommes voudraient fleurir
après cette pluie de sang
nous les saluons dans le souvenir
le jardin de ces corps
la terre se tait
mais ce qui crie au loin crie dans la nuit des pierres
la folie se durcit au fond de la chair
il y a un monde qui se perd
notre mort
nul ne peut se prévaloir
de porter la lumière
la vérité est une ombre.

_

II

J’en viens donc à parler d’une mémoire qui ne sera pas celle dont j’avais hérité moi-même – comme vous tous – à l’époque où, comme et avec le Jeune homme, j’ai rencontré la guerre.

C’était d’une part, cette mémoire pour ainsi dire officielle, rattachée à l’histoire, cette mémoire scolarisée et institutionnalisée dans laquelle se perdent les émotions. C’était aussi, comme pour vous sans doute, quelques rescapés de la  « dernière » qui franchissaient la ligne abstraite de l’Histoire, pour tenter de se faire entendre, ou bien qui se taisaient, prisonniers de la légende qui les projetait trop loin ou trop haut. La guerre d’ « avant » se cachait sous le marbre des tombeaux, et les décorations au lustre enfantin. Quant à moi je n’avais pas ce dont nous disposons aujourd’hui : la guerre « en vrai » sur des écrans, avec la couleur du sang et le bruit des armes, comme si nous y étions. Avons-nous encore besoin de la mémoire, je vous le demande, quand cette hyper réalité nous est offerte sur des plateaux qui font en effet de notre perception, l’étendue plate d’une surface quelque peu aride qui pourrait être tout aussi bien celle d’un désert ? Car, d’une mémoire plus ou moins bétonnée par la raison à cette connaissance directe de son objet débordant : la guerre, qu’apprenons-nous de l’Homme, de son malheur, de son espoir, de cette cause impossible pour laquelle il se bat contre des ombres ?

Disons-le d’un mot : l’accumulation des faits et des images nous empêche de penser et la pensée elle-même, plus tournée vers l’explication que vers le partage du vécu, nous coupe d’une réalité qui nous semble étrangère, alors qu’elle fait partie de notre vie. C’est qu’en effet la violence – la vieille hubris des anciens grecs – nous est connue. Nous l’avons rencontrée un jour ou l’autre. Notre mémoire s’en est saisie, puis elle s’en est écartée. Et s’il en reste quelque chose qui, du fond de l’oubli et par-delà, nous parle et nous apprend, c’est au prix d’un travail bien différent de celui qu’on appelle aujourd’hui un peu vite « travail du deuil », et qui, plus proche à cet égard du cheminement que permet une cure psychanalytique, s’ordonne chez l’homme, depuis au moins le Grotte de Lascaux, selon les lois obscures qui commandent le vaste champ de l’expression.

Dans une époque comme la nôtre, tournée vers l’efficacité plus ou moins immédiate, la démarche que je veux évoquer ici s’inscrit dans la durée et, d’une certaine façon, la contemplation. Mais loin de condamner l’action, elle la prépare, si cela est nécessaire, car l’homme ne peut lutter contre ses propres monstres en se contentant de les visualiser hors de lui-même. Il lui faut les rencontrer en lui

où ils rôdent depuis le commencement du monde, dit-on, et en tous cas depuis l’enfance ; et pourtant cette cohabitation cachée ne lui parle qu’à mots couverts et le peu qu’il en entend semble lui échapper comme d’ailleurs, épreuve après épreuve, sa propre vie rendue chaque jour au matin retrouvé de sa fraîcheur. Mais l’eau qui dort n’est innocente que par défaut ; l’arrachement de la source et l’obscurcissement des eaux mêlées par le courant se tiennent à l’abri de la surface, comme à celui de la conscience, la peur de la souffrance et la souffrance elle-même, sans parler des désirs sombres qui s’y mélangent. De ce point de vue, la mémoire qui m’a servi à écrire, 70 ans après les faits, Le jeune homme et la guerre, n’est pas tant une mémoire apaisée qu’une mémoire, qui, comme Montaigne, sait surtout qu’elle ne sait pas, et qui, de ce non savoir, tire pourtant ce que Sophocle appelait une « timide espérance ».

Entre le non-savoir et la timide espérance, ainsi va le poète au devant de ce qu’il écrit. Ainsi allais-je au devant de ce Lac Majeur aux apparitions ambigües. Entre l’ombre et les lueurs d’un jour encore indécis, pouvais-je, comme l’enfant perdu dans la forêt, retrouver ce chemin de l’informe à la forme que les mots d’une chanson fredonnée tracent dans la nuit ? S’il s’agit bien, en particulier dans la guerre, d’une sorte d’absence projetée sur soi par une armée de fantômes, que faire, sinon leur parler – comme d’ailleurs tout aussi bien aux souvenirs que nous en gardons – dans une langue dont les mots eux-mêmes seraient des ombres, qui, de l’intérieur, doucement s’éclairent ?

J’en viens donc à l’évocation de ce parcours.

La scène de guerre que je rapporte dans Le jeune homme et la guerre remonte à l’année 1944 et se situe en Normandie peu après le Débarquement des Alliés, alors que j’ai 14 ans. L’événement – en lui-même banal – ne m’a véritablement rejoint dans sa violence que 6 ans après la guerre, alors qu’une paralysie d’origine psychosomatique m’immobilisait temporairement au niveau d’un bras, laissant derrière elle et pour plusieurs années crises d’angoisse et insomnies. Ces stigmates une fois disparus, l’affaire – si je puis dire – s’est trouvée classée et les suites positives du traumatisme se sont clairement manifestées dans une orientation professionnelle qui m’a conduit à m’occuper de la souffrance psychique des autres. La psychanalyse – qui n’a pas d’abord joué un rôle direct dans ma guérison – est devenue, après la psychopédagogie, la pratique réparatrice de ma vie, sans que pour autant la blessure qui l’avait autrefois si profondément marquée ait trouvé le lieu d’un souvenir suffisant, tel que celui que je lui offre aujourd’hui dans Le jeune homme et la guerre.

Il faut ainsi penser que le chemin de la mémoire s’est fait au-delà même de la résolution du symptôme qui témoignait du traumatisme, et que ce parcours avait sa nécessité. Sans doute n’est-il pas inutile d’en marquer les dernières étapes.

Après diverses publications liées à mon métier ou à ces moments d’école buissonnière qu’offre la poésie, il a fallu en 2008 que je revienne, toutes affaires cessantes, sur le fameux crime qui avait retenu mon attention dans les années 56 et qui continuait de me hanter parce qu’il avait été commis par un prêtre. Je veux parler du « Double crime de l’abbé Desnoyer, curé d’Uruffe ». L’horreur de cette histoire – que j’ai alors racontée dans un livre qui s’efforce, par la poésie, d’en approcher la dimension cachée – trouvait en moi un écho particulier. Ce n’est pas le lieu d’y revenir. Mais le double meurtre, surtout celui de l’enfant, arraché au ventre de sa mère par la main qui en même temps le bénit, retrouvait en moi une place qu’il y occupait depuis toujours, comme une sorte de mythe originaire.

A quelque temps de là, dans une journée d’études consacrée à « l’Intime », s’est imposée tout à coup la scène de guerre sur laquelle je reviens aujourd’hui. Alors en effet que, pour développer mon idée de l’intimité, j’essaie de cerner ce qui restait de moi sous le mitraillage et le bombardement que j’essuyais en ce temps-là, il me semble retrouver ce « brouillage des repères » dont nous parlons aujourd’hui. Il se peut que le « Je est un autre » de Rimbaud prenne ici tout son sens. N’étais-je pas alors comme une presqu’île plus ou moins arrachée à sa base, et qui, l’emportant ailleurs, au large, devenait au loin, ou redevenait peut-être, l’îlot perdu que j’avais été ou que je suis ?

C’est bien en tout cas à la suite de cette évocation que je me suis mis à écrire  Le jeune homme et la guerre. Il se situe donc en juillet 1944, alors que les troupes alliées soutiennent leur Débarquement difficile par des actions aériennes sur tout l’arrière-pays. Je m’y trouve parmi quelques hommes qui transportent du foin sur une petite route de campagne où progressent un peu plus loin quelques chars allemands. Un jeune homme est là que je ne connais pas ou si peu. Alors que plusieurs avions à double fuselage (les fameux ligthning) nous attaquent, il tombe devant moi et pour ainsi dire en moi, comme s’il s’y écroulait pour longtemps, je peux le dire aujourd’hui, quand la mesure de ce temps, après tant d’années, est enfin devenue possible. Elle renvoie à ce qui ce jour là nous dépassait tous, non seulement le jeune homme et moi, mais son père et le mien, et tous ces gens errants entre les balles et les bombes et bientôt les obus. Il m’arrive aujourd’hui enfin de pouvoir donner à cette présence, qui traverse la mort et ma vie déjà longue, le nom que son développement, à partir de ce jour-là, me permet à présent de lui donner : la Voix.

La Voix occupe ainsi dans le poème la place qui revient au Jeune homme par le double courant de sa vie et de sa mort, l’un et l’autre se rejoignant dans mon souvenir, ainsi qu’il arrive lorsque la pensée d’un être perdu nous le restitue dans cette étrange totalité d’une présence retrouvée. Ne dirait-on pas que le temps qui fut le sien forme aujourd’hui devant nous et autour de nous le cercle lumineux ou sonore d’une sorte d’aura qui remplit d’une bien étrange continuité le vide laissé par la discontinuité de son passage ?

Ainsi donc cette Voix que j’entends depuis ce jour lointain et qui se confond aujourd’hui avec la mienne ne fait sans doute que dire la présence mémorielle de ce que j’appelle pourtant l’« immémorable ». Dans la mesure où la réalité dont il s’agit n’apparaît qu’au-delà de la représentation que je peux m’en faire – là où les émotions se cachent encore dans les cryptes de ma vie – n’est-ce pas à une vibration, à une inflexion de la matière ainsi transcendée par le souffle qu’il revient d’en restituer l’écho ? Mais vous avez compris que j’en appelle à la Poésie.

Mon Jeune homme et la guerre  – en tant que texte littéraire – n’arrive ainsi qu’en suivant ce même chemin de nécessité qui me paraît être celui de la mémoire. Il s’agit en effet comme d’en finir avec la conservation d’un secret et, tout en même temps, d’en préserver le caractère nécessairement incommunicable. Or il y a là un paradoxe, qui sans doute peut rendre compte du temps qu’il m’a fallu pour atteindre ce but : restituer une vérité de l’événement dans son rapport complexe avec l’intériorité de ceux qui le vivent et de ceux – dont vous êtes – qui par la suite vont le connaître à leur tour.

Mais ce paradoxe ne concerne-t-il pas toute mémoire, dès lors qu’elle a pour objet une expérience difficile ? Ne lui faut-il pas en effet tout à la fois en lever le secret et en transmettre l’opacité ? Car l’image qu’elle laisse en nous est inséparable du voile qui la recouvre. Ce voile fait partie de sa réalité la plus parlante qui est pourtant son indicible.

C’est aussi le cas – faut-il le rappeler ? – d’un traumatisme comme celui que laisse derrière lui le viol. La guérison – si tant est que le mot puisse convenir – y provient moins à proprement parler d’une extraction du mal que de sa lente assimilation. Car, qu’on le veuille ou non, il faut bien faire sien ce qui, venu d’ailleurs et sous la figure violente de l’étranger (y compris dans l’ambigüité de l’inceste), entame et désorganise sa propre intimité. La mémoire du traumatisme ne peut donc que se construire dans le temps et selon ce double mouvement qui permet d’exprimer le mal sans pour autant l’exclure. Car le mal est entré en soi et il en fait partie. C’est ce à quoi s’applique d’une certaine façon la mémoire en n’éclairant le drame qu’à travers le voile qui n’en est pas seulement la mise à distance, mais la marque de son reflet dans le miroir filtrant de la conscience. Et l’on sait à quel point ce travail difficile peut amener la victime, sinon à pardonner à son agresseur, du moins à s’accuser elle-même de sa propre passivité, alors qu’il s’agit pour elle en effet d’intégrer le drame non seulement comme un moment de son histoire mais comme « le soi d’après » qui ne sera plus jamais « celui d’avant ». Qu’une forme d’accueil – longtemps inacceptable et indicible – doive ainsi pourtant s’opérer s’impose peu à peu à la mémoire ainsi que, dans un autre champ du malheur, certains déportés survivants ont pu en témoigner. Il reste qu’un tel accueil ne peut que s’appuyer sur la capacité de la mémoire à se détacher de l’étroite représentation de son objet au profit de l’expérience infiniment plus large du sujet. Si bien que la mémoire n’est évidemment plus ici celle de l’historien.

C’est une mémoire qui ne peut que s’éloigner du fait qu’elle rapporte pour mieux en transmettre la réalité débordante. Il lui faut, pour tout montrer, cacher d’une certaine façon une partie de ce qu’elle montre. Car au-delà de l’acte traumatique et de son agent, il y a le lien d’étrangeté étrangement familière qui lie la victime à l’être hybride qui vient à l’habiter, le ramenant à cette hésitation lointaine de l’enfant entre soi et l’autre. Il s’opère là quelque chose qu’on peut même rapprocher de ce dont parle Montaigne à propos de l’amitié : un mélange dont les composants nous échappent. La mémoire de tels mélanges ne peut que s’exprimer à travers des photos voilées. S’agissant ainsi de la guerre que j’ai vécue et de la mort de ce jeune homme si près de la mienne, n’ai-je pas longtemps voulu en garder secrètement la trace, comme si c’était une blessure de guerre non seulement irréparable, mais si précieuse qu’elle serait bien capable de me sauver ?

J’avais donc de bonnes raisons pour me paralyser à l’âge de 20 ans et, bien au-delà, jusque dans une partie de mon écriture. Et ne fallait-il pas aussi que tout ce temps donne à ma mémoire la liberté de se voiler, non pas tant par l’effet éventuel de son usure que par la volonté de mon œil résolument plus proche de celui d’un peintre impressionniste que de celui d’un observateur obstinément objectif ?

Je tenais aussi à aborder cette question de l’immémorable dans la mémoire du traumatisme pour resituer le fameux « devoir de mémoire » au-delà des monuments et des cérémonies qu’à juste titre il inspire. Au-delà même de ces réparations psychiques, sollicitées à grand bruit et dans la hâte, dans le cadre de ce qu’on appelle « les cellules de crise ». La mémoire, comme l’a montré, Paul Ricœur, ne saurait se passer de l’oubli. Mais quel oubli ? Il me semble que, si nous avons un culte à rendre à l’immémorable, c’est d’apprendre à nous retrouver dans notre propre absence à nous-mêmes et au monde, et nous y tenir un instant au moins, comme devant « un autre monde ». Sortir de la mémoire ordonnée, par la rêverie dont parlait si bien Bachelard. Se laisser absorber comme devant la tombe d’un être cher, sachant que cette voix qui parle en soi comme en chacun ne nous appartient pas entièrement. Qui dirait que dans l’amour même il n’en est pas ainsi ? Dans le souvenir de l’amour il y a aussi un immémorable et il concerne sans doute ce qui est passé en nous pour toujours de l’étranger – ou de l’étrangèreté qui qualifie aussi l’être aimé. Il est difficile de comparer « la chose » à laquelle est associé le traumatisme et la présence désirée de celui ou de celle que nous aimons, mais c’est pourtant à rapprocher les contraires que nous pouvons comprendre non seulement ce qu’il est convenu d’appeler « les crimes passionnels » mais l’inévitable ambiguïté de cette opération digne de l’alchimie qui consiste à laisser se développer en soi à la fois l’espace libéré – et donc plus ou moins vide – d’un accueil, et cette matière ajoutée, venue le combler, aux dépens sinon de notre identité, du moins de ce que nous pensions être notre unité de vieil enfant. La mort nous paraît sans doute plus étrangère que l’amour en raison de son irréversibilité. Mais l’immémorable de l’amour – ce qui, au-delà de l’Histoire, s’est ajouté à nous- comme peut-être aussi bien dans la grossesse d’une femme et pour longtemps l’enfant à naître – cela dans notre vie la plus intime est irréversible aussi.

L’irréversible et l’immémorable vont ensemble. Il n’y a sans doute que la musique et la poésie pour s’en occuper sérieusement. Ceux qui s’aiment et ceux qui pleurent la perte d’un être aimé le savent bien : loin des discours qui structurent une mémoire plus ou moins associée à la raison historique, le mystère de la vie avec sa mort est célébré dans des évocations et des invocations passagères mais insistantes qui sont celles des prières volées à une foi chancelante. Il vaut peut-être mieux que la foi ne s’arroge pas plus que la mémoire un pouvoir de résurrection. Des souvenirs en forme de nuages traversent le ciel et ce sont des visages dont le dessin s’estompe, non sans qu’à l’intérieur de nous leurs formes changeantes soient aussi des forces qui nous aident.

J’en suis arrivé à ces formes improbables parce qu’elles viennent s’inscrire aujourd’hui dans un contexte où la réalité de l’informe s’est largement imposée. Que la mélancolie de l’homme postmoderne soit liée, comme l’a suggéré Christian David dans son dernier livre : «  Le mélancolique sans mélancolie » (Ed. de l’Olivier) à des expériences « inaccessibles à la stricte représentation », n’est-ce pas ce dont témoigne à sa façon l’Art Contemporain ? Or l’émergence de l’informe qui trouve aussi bien sa place dans la Science, aujourd’hui poussée hors de ses limites jusqu’aux fameux « trous noirs », n’est-elle pas tout autant liée à la Guerre et aux abîmes nouveaux qui s’y révèlent ?

Au-delà en effet du drame, somme toute classique, qui m’a inspiré Le jeune homme et la guerre, au-delà même des gouffres qu’ont ouvert en nous les « camps de la mort », et, sous l’aspect d’une fausse solution ponctuelle sinon « finale », LA bombe atomique, l’ordinaire du terrorisme nous introduit aujourd’hui dans une dérégulation de la violence qui, devenue indéfinie et diffuse, ne fait que renforcer notre fuyante représentation du monde et de son histoire.

Car ces violences, qui toutes, à des degrés divers, produisent le « brouillage des repères », s’attaquent non seulement au corps de l’Homme, mais à la forme spirituelle de son visage – je parle ici de l’image que prend son identité – réduit à l’état quantitatif de chose parmi les choses. L’informe est projeté sur l’Homme, dans l’Homme, et la mémoire de cet informe échappe intrinsèquement à l’Histoire. Elle ne relève plus tant de la restitution des faits que de la lente assimilation, trouble et toujours inachevée, du viol qu’a subi notre Humanité. Marguerite Duras et Alain Resnais l’ont bien compris, lorsqu’ils ont écrit et réalisé « Hiroshima mon amour ».

Nous sommes loin de la Normandie où la guerre conventionnelle – comme on dit – se contentait de tuer dans une sauvagerie pour ainsi dire « conforme ». La mort de l’individu ou d’une population désignée ne suffit plus. Ce qui est désormais visé se situe en-deçà même de l’homme, la où sa culture et sa nature se confondent dans le principe même du phénomène vivant. Nous avons changé, non seulement d’échelle, mais de niveau. Et pourtant, ce Jeune homme qui est devenu « mon » Jeune homme, c’est-à dire en moi cette voix presque sans corps dont la poésie n’est que l’écho, n’est-ce pas tout aussi bien ce qui, dans le souvenir, ne se laisse apercevoir qu’au bout du bout des formes, comme à l’horizon introuvable de notre univers ?

Il nous faut donc apprendre à vivre avec la peur de l’informe, et, sans doute nous en saisir au-delà même de notre capacité à nous le représenter. C’est bien là où il nous revient de rendre à la mémoire cette part d’ « immémorable » qui est la véritable part de notre humanité dans son histoire ; nous familiariser avec l’étrangeté de ce qui, au fond même de l’oubli, n’est pas «  le néant vaste et noir », mais une autre lumière, qui ne brille, comme l’amour, que du désir informe d’une longue attente.

Dans le silence brouillé de cet informe, entre les mots et les souvenirs, et selon ces « créations » que secrètent dans la diversité de leurs langages nos multiples intimités, c’est, au sens le plus large du mot, la Poésie qui nous conduit au seuil et parfois au cœur de l’ « immémorable ». C’est elle – cette Poésie explicite mais aussi implicite dont vous avez compris qu’elle désigne un champ d’expression presqu’illimité – qui nous aide à retrouver ce qu’on pourrait appeler – comme on le fait pour un homme ou pour un arbre – « l’âme de la mémoire ».

Et si je devais ajouter un mot, pour relier ma réflexion aux évènements que nous venons de vivre, je dirais que notre force de résistance morale sera sans doute à la mesure de notre capacité à rester libres vis-à-vis des images qui nous assaillent, à les prolonger au-delà de la réalité qu’elles représentent, au-delà même de ce qui nous semble nous représenter à nous-mêmes comme des formes fermées, alors que la mort en signe à tout instant la nécessaire ouverture, et je pense, disant cela, au poète Rainer Maria Rilke, lorsqu’il écrit dans la première de ses Elégies :

« Jette hors de tes bras le vide vers l’espace que nous respirons ; les oiseaux peut-être sentent l’air plus vaste d’un vol plus intime ».

Telle est la modeste ambition de ce Jeune homme et la guerre, dont je remercie Sophie-Aude Picon et Philippe Tancelin, d’avoir accepté de nous lire quelques pages, et, en attendant, c’est vous tous aussi que je remercie, non seulement pour votre présence, mais pour votre patience et votre bienveillante attention.

Jean-Pierre Bigeault
Psychanalyste, poète…
6/12/15

* HASSNER Pierre, La revanche des passions – Métamorphoses de la violence et crise du politique, Paris, Fayard, octobre 2015.

** Sous la direction de Philippe Tancelin et Bela Velten, Effraction 1 – Fragments, lambeaux, Paris, L’Harmattan, Collectif de poètes des cinq continents, 2015.

DU BON USAGE DES HÉROS – à l’occasion de la publication de Nausicaa beach I et II

Nausicaa beach – qui est donc le prétexte au propos que je vais tenir – n’est pas un titre très sérieux mais c’est que la rencontre entre Ulysse et cette « princesse à la plage » appelée Nausicaa a tout de même – comme on dirait aujourd’hui – un côté sexy ! Et d’autre part, puisque en 1969 j’ai publié Ulysse et la Verte Queen et en 2009 Le cheval de Troie n’aura pas lieu, on pourra penser que je suis un récidiviste.

En tous cas c’est aussi – vous l’avez compris – que j’ai de la suite dans les idées. J’ai rencontré Ulysse lorsque j’avais 15 ans, alors que j’étais en classe de seconde et que, sous la férule en forme de trident d’un brillant helléniste, j’apprenais le grec. Mais l’affaire ne s’est pas arrêtée là. Pour des raisons sur lesquelles je reviendrai, je me suis pris pour Ulysse ; j’ai même demandé à mon meilleur camarade de classe, futur grand Prix de Rome, de me graver un ex libris à ce nom. Et, à vrai dire – c’est aussi le moment de vous en faire la confidence – j’aimais le grec, la langue, et j’avais comme Ulysse un grand voyage dans la tête et qui serait – lâchons le mot ! – cette sorte « d’école buissonnière » il est vrai mouvementée à quoi me faisait penser le grand retour de ce fameux et pourtant relatif vainqueur de Troie. Et aussi bien, autant vous le dire dans la foulée, ce que j’appréciais chez Ulysse, c’était la lenteur (10 ans) et l’ambiguïté de son retour, si tant est même que ce retour ne fût pas plutôt un aller, comme on pourrait dire d’un souvenir qui se met à nous devancer, à nous ouvrir la route. Mais surtout, sans me l’avouer tout à fait, je trouvais qu’il y avait chez Ulysse de la graine de mauvais élève. Je rêvais tout à fait secrètement d’être un mauvais élève, et je m’expliquerai là-dessus quand il sera temps. Pour l’heure, l’idée principale que je veux vous exposer, c’est que nous avons tous besoin d’Ulysse pour être nous-mêmes, prendre le temps de « nous faire » en zigzaguant sur une mer pas toujours transparente, en finir avec la gloire de la lumière et les victoires fracassantes, traîner même dans les rues et les courants d’eau trouble s’il le faut, et, une fois rentré chez soi, reprendre la vie à son début comme un mort entièrement fleuri d’humanité et qui revit dans ses arbres.

Quel programme me direz-vous ! Pourrait-on dire encore qu’il soit homérique ? Car il me faut bien lâcher le mot : cet Ulysse, dans sa nudité de naufragé battu par les vagues et enrobé de sel lorsqu’il apparaît à Nausicaa sur cette plage parfaitement rustique de Phéacie, n’est-il pas ce qu’on appelle un « anti-héros » ?

Nous y sommes. Voilà notre sujet ! Par ces temps difficiles – ces guerres de Troie sans trop de Belle Hélène pour nous en faire avaler la pilule – avons-nous besoin de nouveaux Achille ou de ces drôles d’Ulysse plus malins que grandioses qui nous ressemblent trop, alors que nous rêvons malgré nous pour nous sauver … de demi-dieux ?

Pour répondre à cette question difficile, je dois d’abord revenir, si vous le permettez, sur ma modeste expérience de lycéen d’après-guerre.

Après que le Débarquement de Normandie eût précipité mon adolescence dans le miroir grossissant des incertitudes, je me vis comme un fantôme qui courait après son corps. Et il arriva cette chose à dire vrai plutôt prévisible, que, poussé par les vents qui soufflaient depuis longtemps dans le sens de la réparation spirituelle, je me lançai à la recherche de mon âme et je me mis – tout en m’associant au déblai des vraies ruines – à vouloir sauver le monde dans sa profondeur. Catholique et marxiste, je m’activai, à la surprise générale, y compris la mienne. Un idéalisme m’emportait, teinté pourtant – je dois le dire – d’une sorte de pragmatisme élémentaire assimilable à cette débrouillardise obligée que développe la vie à la campagne.

Or cet idéalisme, comme je l’ai dit, était un vent qui soufflait de loin. Après les années de cette pénitence vichyssoise que nous avait valu la défaite, notre victoire morale, quelque peu tirée par les cheveux, se rattrapait aux branches d’un rêve que l’Eglise – comme d’ailleurs bien d’autres institutions – s’appliquait à rafraîchir, comme on dit des vieilles peintures. C’était donc un dynamisme volé à la culpabilité et qui punissait encore, mais en douceur. Aussi bien, la Libération devait-elle donner corps, si l’on peut dire, à ce fantasme de grandeur retrouvée, y compris à travers ses héros, exhumés de ce qu’on devait appeler « l’armée des ombres », et c’est en effet que la grande ombre qui avait couvert la France en appelait à la lumière.

J’ai donc vécu la guerre, moi aussi, et ses suites, comme une sorte d’appel interminable à la vertu post militaire des anges réparateurs. Comme on disait à l’époque : je m’engageais.

Et pourtant …

Et pourtant, j’avais beau être porté comme je le suis toujours, par la dynamique que nous inspire le culte des valeurs, j’avais un doute. Ne devais-je pas à mon origine quelque peu paysanne d’avoir bu, avec le lait d’une espérance toujours fraîche, le sirop doux-amer de la méfiance ? Comment traiter du bien et du mal sinon avec la prudence astucieuse du maquignon normand ? L’idée qu’il me revenait de sauver le monde était trop grande pour moi. Je ne serais pas le héros d’une cause qu’on m’offrait sur un plateau pour me grandir. Je ne voulais pas grandir à ce prix-là, et, s’il fallait payer, combien ? La réalité se discute pied à pied, et c’est comme un marché autour d’une bête vivante : tout cela dépend ! Mais l’Idéal ne dépend pas, il est au-dessus comme le ciel, et il vole de ses grandes ailes, et je l’aurais suivi au bout du monde. Je tournais donc en rond. La route obstinément droite qu’on me traçait n’était sur la carte d’un rêve que le chemin d’un homme déjà arrivé, autant le dire, un homme mort. Je suffoquais. Plutôt errer, mais suivre sa propre route, voire battre la campagne et saisir l’occasion qui fait le larron. Et il est vrai que mon adolescence cherchait au cœur de son exaltation le passage étroit d’une « bonne mesure », comme quand, après avoir tenté l’impossible, on s’accorde à la fin pour faire avec le possible : par exemple sauver ce qu’on peut de soi-même, tout en sauvant du monde cette part qui nous tient le plus à cœur même si elle n’est qu’un mouchoir de poche, appelons-la Ithaque.

C’est alors que je me suis tourné vers Ulysse !

Il se tenait debout – pour ainsi dire – sur le seuil de ma dualité. J’avais donc un frère, un grand frère. Ce marin campagnard, constructeur de bateaux et de chevaux en trompe l’œil, la main, le corps toujours prêts à l’acte qui prend ensemble la réalité des hommes et celle des dieux à l’affût, voilà l’homme qu’il me fallait. Il avait l’habileté du manœuvrier se glissant entre les vagues et les forces divines, sans compter les sorcières et les monstres. C’était la compétence ouvrière de l’esprit ramenée aux justes proportions de l’homme. Un « homme sans qualité » innocenté de la chute qu’on lui avait mise sur le dos. Mais je ne savais pas tout cela. Je le sentais comme « un homme qui se réveille à l’aube devant un petit port mauve et qui aurait voulu n’avoir jamais appris à lire et à écrire », ainsi que le dit le poète grec contemporain Odysseus Elytis dans son petit livre L’espace de l’Egée. C’était ce voyage que j’enviais à Ulysse par-dessus tout. Comme lui, après Troie, après cette cure d’héroïsme qui l’avait, comme tant de survivants, séparé, rejeté si l’on peut dire, sur une île déserte, j’étais bel et bien décidé à me réunir avec moi et avec les miens, avec tout ce qui fait un homme quand son identité se cherche. Ainsi, coûte que coûte, je devais accomplir ce retour dont certes la gloire avait ses limites, mais qui serait chanté, sinon par Homère, du moins par mes propres soins, si modestement poétiques qu’ils fussent. C’est en effet qu’on ne chante à l’intérieur de soi sa propre histoire que pour lui offrir les chances d’un plus long parcours. On rêve d’être Ulysse entrant lentement dans la mort au rythme d’un retour, si tortueux qu’il soit, qui reste un hymne à la vie. Je n’étais pas Achille et mon ardeur d’adolescent devait se plier à la complexité des enjeux qui l’attendaient au tournant : être soi et être pour soi et pour les autres n’est pas une mince affaire ! Comme Ulysse, je devais pratiquer ce que Marcel Détienne et Jean-Pierre Vernant ont appelé, dans leur livre célèbre Les ruses de l’intelligence, la Métis des Grecs. Ne savons-nous pas en effet que, comme nous l’enseigne Ulysse, si nous voulons servir et faire servir notre vie difficile en naviguant au mieux entre ses contradictions et nos conflits les plus intimes, la vérité, comme notre vie elle-même, doit être revisitée et, à chaque fois qu’il le faut, réinventée, c’est-à-dire reconstruite. Métis, la déesse qui change de forme comme de chemise inspire à Ulysse ses meilleurs coups, ceux, comme on dit qui permettent de « s’en sortir ». Ainsi, ce que l’écrivain italien Cesare Pavese appelle Le métier de vivre est-il plutôt un art qui passe par les artifices, les subterfuges, les masques, les symboles, les mensonges qui sont aussi des fictions, et j’en passe…Autant le dire, par ces temps de revendications identitaires tragi comiques, nous sommes faits de pièces et de morceaux, et encore les éléments les plus vivants qui nous constituent sont-ils surtout les produits de ce que nous nous racontons à nous-mêmes, et des légendes collectives dans lesquelles nous nous inscrivons.

Qu’Ulysse ainsi, par son art et ses ruses, ait inventé cette image de soi sans cesse remise sur le métier, c’est-à-dire irréductible à un passé – si glorieux soit-il – et vivante comme le désir obstiné d’être, nous invite à concevoir l’identité non pas comme un acquis ni même davantage le point supposé fixe d’une destination, mais le parcours qui y conduit. Notre héros anti héroïque n’est pas une statue mais le mouvement du bras qui, s’en tenant à la glaise, en ébauche la forme. Comme l’intelligence de la Métis, telle qu’on peut la suivre à travers les ondoiements de la pensée et les tâtonnements de l’action, l’identité consiste dans un va-et-vient entre ce qu’on en sait et ce qu’on en veut. Quel adolescent, errant sur les flots de sa jeunesse montante, n’entrevoit-il pas cette terre nouvelle flottant au loin ? Un tel mouvement – disons-le en passant – ne saurait être réduit à l’occurrence d’une « crise » posée comme exceptionnelle. Comme l’artisan, comme le navigateur, comme le poète, nous nous avançons dans un monde fluctuant en nous prêtant aux turbulences d’une réalité qui, comme la vie elle-même, en partie nous échappe. N’est-elle pas toujours un jeu avec le désir, et donc l’écoulement et la perte ? Notre identité nous est parfois si étrange – en particulier sous la menace d’une réalité trop forte – que nous risquons de la projeter hors de nous sur une figure idéalisée, et c’est ainsi que, adolescents indécrottables et sous l’effet de ce que Nietzsche appelle « une prostration romantique », nous nous tournons vers les héros sinon les dieux. L’illusion des formes sûres – y compris des savoirs dogmatiques – et celle des héros réparateurs ne soigne pourtant nos angoisses qu’en les nourrissant en secret. C’est que notre pensée – y compris de nous-même – n’est, elle aussi, qu’un long voyage.

Je voudrais compléter ce point de vue en me référant à un autre « voyage du retour » qui est celui de la cure psychanalytique. Comme il se trouve que c’est aussi ma pratique, je crois devoir rappeler que le psychanalyste – comme d’ailleurs son patient – est plus proche d’Ulysse « l’homme aux mille tours » (selon l’expression d’Homère) que du guerrier Achille. L’acte psychanalytique en effet, de quelque côté qu’on l’envisage, n’est pas un acte héroïque au sens où il déboucherait sur un basculement du destin et son couronnement glorieux. C’est bien plutôt une errance par mer incertaine et au gré de la protection ou de la colère des dieux que s’opère ce retour à Ithaque qu’est, pour le patient, la ré appropriation de ce qu’on pourrait appeler comme le psychanalyste anglo-indien Mazud Kahn, un « soi caché ».Dans cette course interminable, les deux compagnons de route ont certes des places différentes, mais leur tactique, si largement dépendante qu’elle soit, des forces qui la soutiennent et la contrarient, emprunte largement à la Métis ulysséenne. C’est l’art de la ruse qui permet de piéger l’inconscient, et même au-delà, on peut dire que la fiction voire le délire y sont aussi bien appelés à l’aide, reprenant d’ailleurs à cet égard, le fonctionnement qui a largement fait ses preuves au niveau de la mémoire. Car les mensonges mêmes de nos histoires en forme de mythes ne sont-ils pas les auxiliaires obligés de notre délivrance ? Notre vérité doit être construite, reconstruite, après que, s’étant dressée devant nous sous la fausse apparence des victoires ou des défaites dûment officialisées, elle nous a si souvent barré la route, nous enfermant dans des figures qui n’étaient pas vraiment les nôtres. Que la fameuse identité de l’anti-héros ne soit ni le roc du soldat triomphant, ni l’abîme dépressif du guerrier vaincu, est une découverte qui s’élabore douloureusement dans le laboratoire que constitue le voyage psychanalytique. Car Ulysse n’accomplit pas seulement son voyage, il est lui-même le voyage. Il faut perdre Troie, fût-elle gagnée, « Ô saisons, Ô châteaux », et prendre la mer « au sourire innombrable » et revenir pour aller, comme si le temps lui-même n’était qu’un leurre.

Il reste donc incontestable qu’Ulysse est un maître difficile. Il manque de sérieux à sa façon. Il souffre sans se complaire au malheur et même il joue avec les sales coups du sort pour s’en sortir par une galipette comme un enfant roublard. Et sous ces faux airs de saltimbanque marin, s’il conduit pour finir son navire à bon port, c’est que sa volonté reste intacte, comme d’ailleurs celle d’Athéna, sa protectrice, accessoirement déesse de la raison. Raison mais folie du poète, du psychanalyste, de l’homme assez entreprenant pour remuer son ciel, sa terre, comment ne pas penser malgré tout au brave soldat Achille, ce risque-tout à la noblesse rare qui préfère « la belle mort » à la longue mer, à une vie de compromis avec le vent et les vagues. Ce jeune homme aussi est en nous. Nous le tenons à distance mais il réclame sa part. Cette part de foi et d’espérance qui, tout autant que l’intelligence, inspire l’obstination du voyageur, tant il est vrai que sans elles, « le dur désir de durer » dont parle le poète Paul Eluard, ne serait qu’une forme de persévération obsessionnelle.

C’est pourquoi, dans la suite de cette évocation de la guerre qui nous a permis de resituer dans sa fonction l’appel aux héros, je voudrais revenir brièvement sur l’héroïsme d’un soldat qui fut aussi un poète. Charles Péguy, l’homme des Cahiers de la Quinzaine et du Mystère de la charité de Jeanne d’Arc, est tombé sur le front de la Marne en 1914, dans l’élan sacrificiel de sa foi et aussi, il faut le dire, la colère désespérée du militant socialiste qu’il avait toujours été. Il aspirait depuis longtemps à cette mort dont il avait écrit, dans Clio, évoquant précisément le guerrier Achille, « combien il est beau le détachement du fruit prématuré… l’arrachement de celui qui ne remplit pas le destin de sa vie ».

Ainsi ce héros, dont les propres ennemis politiques firent un saint 30 ans après sa mort pour servir la cause de ce qu’on devait appeler le « réarmement moral », aura-t’il été emporté, selon son ami le plus fidèle, Romain Rolland, par « le fanatisme de la vérité », cette passion démesurée qui avait justifié tous ses combats et dont la version banalisée et ensauvagée s’appelle aujourd’hui la « radicalisation ».

Charles Péguy n’était pourtant ni un fou, ni malgré sa droiture un peu rustique, un naïf ! Il avait écrit en 1910 :

« Que le chef de guerre ayant fini sa tâche
Avec ses bons soldats retourne à la maison
Et tous les ans laboure et fasse la moisson. »

Ulysse n’est pas loin !

Il faut donc croire que le héros témoigne d’une division cachée, une division qu’il veut dépasser dans l’unité retrouvée de l’acte ultime. Sous cet aspect le héros qu’incarne Péguy semble bien répondre à un vœu d’accomplissement qui serait, à sa manière et à la fois, un retour aux sources. Le raccourci suicidaire de ce retour donnerait la mesure du conflit qui condamne le héros à précipiter le mouvement comme s’il craignait de se perdre en route, de trahir ceux qui lui ont inspiré, sinon la forme, du moins le fond de ce qui, chez lui, est d’abord sans doute un cri déchirant.

Quand Péguy tombe au champ d’honneur, la terre qu’il retrouve fait écho au labeur ouvrier qu’il a chanté, qu’il a lui-même à sa façon d’intellectuel combattant enduré, et sa gloire qu’il aura voulue modeste n’est pas celle d’un dieu mais plutôt celle d’un travailleur qui n’en finit pas d’aller au bout de sa tâche, comme une sorte d’Ulysse, il est vrai bientôt lassé de ses atermoiements.

Alors, que conclure ?

Peut-être qu’entre Achille et Ulysse, notre humanité ballotée est-elle condamnée selon les moments à faire un choix !

Peut-être avons-nous besoin de héros pour que l’affrontement ultime entre un homme et la mort donne son plein sens à une vie qui s’ennuie de se perdre. Et il se pourrait ainsi que la vie s’attribue des victoires qui la confortent dans son rêve. Mais, sous leurs habits de gloire, nos boucs émissaires de luxe – et la guerre qui les fabrique en masse pour une consommation plus courante – nous renvoie à ces jeux cruels dont nos enfants se font croire qu’ils sont des chefs, comme ceux qui font semblant de les gouverner. Ô puissance des fantômes ! Il est vrai que le soldat Ulysse, avec son long voyage plus ingénieux qu’héroïque, ridiculise à la longue tous les pouvoirs, et, s’il rentre à la maison « plein d’usage et raison » comme disait Du Bellay, dieu que les dimanches y risquent d’être longs ! Pourtant, il y a dans les familles retrouvées, voire recomposées, de bons moments. Et il arrive à la pensée des petites choses que les grandes s’y refassent une santé, loin des succès garantis, et je pense à ces gens qu’on dit « braves » parce qu’on pense qu’ils ne le sont pas, et qu’on méprise un peu vite en ce monde où les stars ont en effet la dureté minérale des étoiles et… un certain goût de mort.

Enfin, comme je vous l’ai déjà dit, je n’ai pas écrit Nausicaa pour en venir à ce discours un peu grave qui est sans doute une manière de mauvais élève cherchant à se faire pardonner sa légèreté de poète. J’ai simplement voulu évoquer ce héros de la démobilisation progressive et ses acrobaties d’homme relavé à grande eau par Nausicaa et sa petite bande, puisqu’il fut le soutien de ma propre désidéalisation d’après-guerre. Faut-il encore ajouter que

la découverte de la langue grecque, sa musique, et tous ces dieux vadrouillant entre la terre et le ciel comme des étoiles protéiformes, m’ont permis à la fois de prendre l’air – l’air du Mont Hymette avant la pollution – et paradoxalement déjà de revenir chez moi, dans mon pays du bocage normand, dans une intimité agreste et subtile qui me donne à penser que ce retour se poursuit et qu’il ressemble à un avenir que j’aurais oublié. Tout cela, je vous l’accorde, est un peu fou, et comme je n’ai plus rien à ajouter, ni d’ailleurs à perdre, laissez-moi vous dire ce mot de notre facteur, le 6 juin 1944 au matin, alors que les Alliés commençaient à se faire entendre dans le fracas des combats côtiers :

« Oïlle eu zondit tout c’que c’est quo faut quo fasse » énonça-t’il gravement.

C’était un mot long et clapotant sur la vague. Ulysse avait parlé : notre destin était dans les mains de ces dieux qui avaient organisé le Débarquement. Ils avaient dit aux hommes ce qu’il y avait à faire, Oïlle eu zondit tout c’que c’est quo faut quo fasse. Notre facteur, dont mon père me dit aussitôt que la langue chantait comme le grec ancien qu’il avait un peu appris, n’était pas un héros mais véritablement un messager dont la parole, d’abord indéchiffrable, transportait avec elle l’assurance poétique dont nous avions besoin. Ce qui compte chez Ulysse et Nausicaa et les autres, c’est Homère ; c’est le chant qui reste d’une vie après qu’elle a passé, et on pourrait dire que ce qui, notre vie durant, survit déjà, c’est ce qui s’en élève, préfigurant « l’après », comme si déjà il lui fallait la mort pour qu’on entende sa musique.

Jean-Pierre BIGEAULT
4 décembre 2016

D’UNE VIOLENCE L’AUTRE OU PETITS « AUTOCARS CHERS »  ET GRANDES MANOEUVRES DANS LES CITÉS

Cet article réagit à une autre tribune publiée dans les Actualités sociales hebdomadaires du 30 juin dernier par Jean-Marie Petitclerc. L’auteur exposait notamment que « la question de la mobilité doit être au cœur de la problématique du renouvellement urbain », et qu’« après le choc des émeutes, il est donc urgent de refonder la politique de la ville. L’éducation à la mobilité et l’expérimentation de la mixité sociale me semblent devoir constituer aujourd’hui les axes prioritaires des réformes à entreprendre ». En terme de rétablissement de la mixité sociale, il suggérait : « plutôt que de concentrer les moyens sur les collèges en difficulté dans les quartiers sensibles, il faudrait les répartir entre les dits collèges de l’agglomération qui accueilleraient, chacun pour une part, les élèves domiciliés dans ses quartiers ».

La violence dite des jeunes suscite des prises de position, des slogans, voire des mesures qui, trop souvent, procèdent d’un mélange de bons sentiments et de gadgets dont le moins qu’on puisse dire est qu’il contribue davantage à évacuer la question qu’à véritablement y répondre.

Tel est le cas de la formule-miracle que propose à nos décideurs Jean-Marie Petitclerc, éducateur spécialisé [2]« pour gagner le combat contre la violence ».

Les textes auxquels nous allons nous référer sont, d’une part, l’article « Pour une autre politique de la ville » paru dans la revue Études de janvier 2006 (n° 4441) et d’autre part, la tribune libre intitulée : « l’éducation à l’épreuve de la politique de zonage et de l’immédiateté » parue dans les ASH du 30 juin 2006 (n° 2242).

Pour l’auteur « l’embrasement des cités », ou plus exactement des quartiers dits sensibles, a stigmatisé l’échec d’une politique de la ville qui non seulement n’a pas enrayé, mais, selon lui, renforcé le phénomène de « ghettoïsation » et, par là-même, la violence qui lui est liée.

C’est en effet, toujours d’après J.-M. Petitclerc, dans la mesure où le saupoudrage des moyens et donc la dissémination des institutions (notamment scolaires) aurait enkysté les populations dans la problématique psychosociale spécifique de leurs quartiers, que la mixité sociale n’a pu se réaliser.

Projetés dans le miroir où se fonde, à travers l’image collective de l’échec, une forme négative d’identité commune, les élèves, scolarisés dans ces quartiers, auraient ainsi été condamnés à reproduire les modèles que leur impose la violence structurelle de leur groupe d’appartenance.

Le piège de l’homogénéité sociale se refermant sur eux, le ghetto les a immobilisés dans un espace qui imprime à la temporalité de quelque projet que ce soit sa propre réduction et réduit d’autant le comportement à une simple réactivité.

Tels seraient donc les effets d’un zonage [3] qui aurait pour ainsi dire mécaniquement conduit à rien de moins qu’à « la faillite du système éducatif ».

Le problème ainsi posé dans sa simplicité topo-organisationnelle, l’évidente solution qui s’impose serait la suivante : fermer les collèges qui ne sont, dans ces zones, que des bombes toujours prêtes à exploser, et transporter les élèves vers des établissements « des centres villes » où une forme de mixité sociale surgirait enfin !

Tel est donc le schéma de la nouvelle « bonne nouvelle » éducative qui nous est ici annoncé !

Une sorte de triptyque nous y présente, dans sa partie centrale, le creuset où la matière sociale produit sa propre violence à partir des éléments violents qui la composent, tandis que les deux autres volets décrivent, d’un côté les violences parasitaires de l’environnement politico policier, et de l’autre la violence – mais cette fois conçue comme constructive – d’un programme réparateur qui ne vise à rien moins qu’à « favoriser la mise à distance du quartier ».

Entre les facteurs dits déclenchants d’une part (maladresse d’un ministre, de policiers, de juges…) qui potentialisent en quelque sorte l’agressivité des jeunes, entre les traitements de choc retenus d’autre part pour remodeler (par le dynamitage des barres et des institutions) les liens d’une population avec son espace physique et social (la maison et l’école), et enfin entre la violence des jeunes elle-même et ces violences voisines, les rapports de cause à effet se perdent dans le patchwork d’une pensée livrée au morcellement de son objet. Les faits s’enchaînent ainsi comme les choses dans un ordre dont les intentionnalités ne structureraient pas la cohérence. Tout au plus « le système » (le zonage) est-il supposé activer un phénomène dont la génération quasi spontanée ne semble concerner, sous le rapport de la vraie causalité, que les jeunes eux-mêmes, à la fois victimes pitoyables et acteurs néanmoins responsables d’une sorte de maladie par ailleurs « inexcusable » [4].

Ainsi donc, si la « rage » des jeunes incendiaires ne peut que redoubler quand, par une sorte d’inadvertance, le souffle indélicat des acteurs sociaux s’exerce sur leurs braises, c’est de leur propre impuissance culturelle à s’exprimer qu’elle provient [5].

Mais la pensée se perd dans les ambivalences de la raison généreuse. C’est là où le fantasme arrangeant vient à la rescousse : la fausse sortie d’un conflit sans issue se profile à l’horizon rétréci du drame sous la forme d’un « deus ex machina ». Il nous invite à laisser la complexité au seuil de la pensée nouvelle qui sera pragmatique, frappante, et bonne pour la bonne conscience.

Il s’agit en effet de concevoir enfin que les malheurs de la haine et de la peur que disent les violences ne sont que les ratés mécaniques d’une « territorialisation » mal ajustée et en particulier d’une mauvaise distribution des élèves entre leurs écoles. Ainsi, au siècle dernier, expliquait-on que la souffrance des ouvriers ne tenait dans les usines qu’à l’inadéquation des instruments du travail.

Et c’est ainsi qu’en partant des bons sentiments, le magicien sort de son chapeau le gadget salvateur : « refonder la politique de la ville » sur la mobilité de ses jeunes enfin « sortis de leurs quartiers » grâce à une « nouvelle politique des transports publics ».

Si la montagne du cœur enfin raisonnable [6] n’accouche ici que d’une souris au regard de la pensée qu’on attendait, sans doute faudra t-il se souvenir que l’esprit pratique est un rongeur qui a toutes ses dents.

Car l’idée sous-jacente ne mord pas n’importe où. Elle déchiquette l’évidence selon laquelle la violence dite des jeunes fait partie d’une violence sociale beaucoup plus large qui en contient le principe et en crée les conditions. Elle susurre qu’en tant qu’elle serait déterminée par un facteur quantitatif intrinsèque (telle que la pression d’une densité locale de jeunes plus ou moins assimilés à une « racaille » dont on ne prononce pas le nom), cette violence des jeunes ne serait liée qualitativement à aucune autre. Elle suggère que sa nature se confond avec celle du quartier et en particulier de ses caïds. Si bien que le mal doit être traité sur place comme le symptôme avec lequel il se confond et qui, à ce titre, mérite simplement d’être éradiqué. L’idée qu’une telle violence pourrait être elle-même l’un des symptômes d’une violence sociale en pleine extension [7]s’évanouit à l’horizon d’une pensée « politiquement correcte ».

Et ainsi donc le glissement progressif du discours – de l’humanisme mou à la logistique chirurgicale (puisqu’il s’agit, rappelons-le, de découper un morceau du corps social et le greffer sur un morceau voisin)- nous ramène t-il à une « politique de la ville » qui n’a jamais réellement remis en cause l’exclusion qu’elle déclare combattre [8].

Car le dézonage que Jean-Marie Petitclerc oppose au « zonage » de la politique qu’il dénonce, ne s’abrite à son tour derrière le décor de la mixité sociale que pour justifier l’exclusion par l’intégration : exclusion supposée réparatrice d’une partie de la cité, intégration de cette partie dans une autre supposée intégrée elle-même à une société supposée non violente !

Mais si l’exclusion s’impose, n’est-ce pas que la pensée ne peut échapper au clivage qui continue de vouloir sauver la mauvaise part de l’humanité par la bonne, étant entendu que la violence ne traverse pas le corps social dans sa totalité !

La formule magique que nous propose Jean-Marie Petitclerc appelle par ailleurs les observations suivantes

1. Le ghetto des quartiers sensibles obéit à un processus de ségrégation territoriale qui touche largement (et sous l’effet d’une contrainte qui n’est pas qu’économique) une société française de « l’entre-soi » [9]. La clôture des beaux quartiers s’est constituée elle-même (et les phénomènes qu’elle génère) dans une logique de l’exclusion sociale [10] ;

Sur ce fond commun de ségrégation et de repli, les « quartiers sensibles » ne sont pas les derniers -du fait même de leur pluri ethnicité, des liens de leurs populations avec les pays d’origine – à développer des conduites d’ouverture sur des « ailleurs » ;

2. S’il est vrai qu’une contrainte interne s’exerce – au titre de la violence – à l’intérieur de chaque « communauté » (y compris donc dans les beaux quartiers où elle revêt d’autres formes), il n’en reste pas moins que la violence des quartiers sensibles s’élabore tout aussi bien sur le modèle d’un « rapport de force » institué, dont les bénéficiaires ne viennent pas tant des cages d’escaliers que des meilleures écoles [11] ;

3. L’école (bas de gamme !) dont l’impuissance [12] est décrétée par Jean-Marie Petitclerc n’a pas tout essayé en dépit des expériences positives qui ont été conduites en France et à l’étranger vis-à-vis précisément des problèmes de violence [13] ;

Ses objectifs et ses méthodes – prisonniers d’un modèle uniforme – ne sont, comme ils doivent l’être, remis en cause, sur la marge et contre l’avis des garants de l’ordre scolaire, que par des pédagogues formés à un peu plus que l’enseignement de leur discipline [14] ;

4. Déchirer le tissu social sous prétexte qu’il est enfermé dans « l’entre soi » mauvais de l’échec (le bon entre soi de la réussite n’étant pas remis en cause) peut-il être autrement ressenti que comme une violence supplémentaire ? L’identité (et l’identification qui la produit) se fonde sur la réalité d’un monde dont il ne suffit évidemment pas d’être extrait (par la force) pour se séparer et s’autonomiser.

Il arrive au contraire que la séparation restructure les liens dans l’idéalisation.

Mais s’il fallait achever de dénoncer les parti pris qui infiltrent le projet de remodelage social ici proposé, il suffira d’entrevoir dans la reconstruction historique suivante (supposée asseoir la formule miracle), le mépris discret d’une élite vis-à-vis des médiocres réalités de l’origine :

« Lorsque, dans notre pays, on a scolarisé les enfants des paysans, on ne les a pas rassemblés dans un collège en plein champ ! On a financé un système de bus permettant aux enfants de la campagne d’être scolarisés avec ceux des villes et de construire ensemble l’avenir du pays » [15].

Il importe peu à J.-M. Petitclerc que l’école rurale, où ils vinrent longtemps à pied, aient permis à nos bouseux (de grands-parents) d’apprendre quelque chose… Contre l’embourbement exotique des banlieues, il lui faut lever cette armée d’autocars mythiques (véritables taxis de la Marne de l’intégration) dont il serait urgent de croire qu’elle a déjà sauvé les jeunes culs-terreux d’autrefois de leur stupidité native !

Quand le discours dit une chose et son contraire, c’est que la pensée elle-même, prisonnière d’un double désir, entrevoit l’impasse où la conduit son ambiguïté.

La généreuse pensée de Jean-Marie Petitclerc tourne dans sa cage comme si son ombre la poursuivait : l’ombre du « retour au calme » et de la paix des chaumières, de la soumission à un pouvoir dont les abus doivent être condamnés et pardonnés pour qu’on en finisse avec le désordre, dans le respect des valeurs.

Car le suicide des pauvres est un crachat sur nos étendards !

Casser le ghetto des quartiers sans humilier personne, ni surtout exercer la moindre violence [16], le mot est dit.

Les autobus feront le reste !

Jean-Pierre Bigeault
in Journal du Droit des jeunes, n° 259, 2009


[1] Toute ressemblance ou homonymie ne sera pas retenue contre l’auteur !

[2] Et aussi polytechnicien, prêtre salésien, directeur d’association, chargé de mission auprès du Conseil général des Yvelines, membre du Comité d’évaluation et de suivi de l’Agence de rénovation urbaine.

[3] Terme emprunté au discours urbanistique et dont la connotation n’est évidemment pas neutre en tant qu’il véhicule une certaine représentation techno administrative du corps social.

[4] Ne dirait-on pas une sorte de « sida social », déjà dénoncé en son temps ?

[5] N’a-t-on pas longtemps voulu penser que les malades de l’amiante n’étaient victimes que de leur propre terrain cancérigène ?

[6] « On a tant dépensé d’argent pour rien » déplore en substance Jean-Marie Petitclerc !

[7] Cf. « Manière de voir », Le Monde diplomatique, 89, octobre-novembre 2006, « Banlieues, 30 ans d’histoire et de révoltes ».

[8] On sait comment les politiques ferment les yeux sur le non respect de la loi concernant l’urbanisme en matière de logement social.

[9] Cf. Éric Morin, Le ghetto français, enquête sur le séparatisme social, La République des idées, Le Seuil, Paris, 2004.

[10] Cf Daniel Cohen, Trois leçons sur la société post-industrielle, La République des idées, Le Seuil, Paris, 2006.

[11] L’arrogance de nos énarques et autres produits du système de « l’entre soi » ne vient pas des quartiers sensibles.

[12] On notera que cette impuissance procède, selon Petitclerc, de ce que l’école s’adresse à des « tribus » (organisation primitive qu’on n’ose pas dire sauvage) pour qui l’échec n’est qu’un signe d’appartenance comme un autre (tatouage).

[13] Benoît Galland, « Prévenir les violences à l’école », in « L’école six ans après le décret « mission » », Presses universitaires de Louvain, 2004 ; Eric Debarbieux, La lutte contre la violence à l’école…in « Améliorer l’École » opus cité.

[14] Cf. Gaëtane Chapelle et Denis Meuret, Améliorer l’école, Paris, PUF, 2006.

[15] JM Petitclerc, Tribune libre, op. cit.

[16] « Mieux vaut utiliser la voie de la persuasion» dit JM Petitclerc en conclusion de sa tribune libre.

LA PÉDOPHILIE DES PRÊTRES – L’arbre qui cache la forêt – J-P. Bigeault – Mars 2010

La pédophilie des prêtres suscite une indignation qui ne contribue pas nécessairement à en éclairer les causes, voire plus largement la signification. Les mesures dont on veut croire qu’elles endigueraient le phénomène (une meilleure évaluation des aptitudes à la prêtrise, la non obligation de célibat) pourraient bien clore un débat difficile avant même qu’il ne soit ouvert.1 Car enfin ce retour des célibataires en brebis galeuses a un arrière goût de XIXème siècle qui sent, qu’on le veuille ou non, la discrimination !

La pédophilie en effet ne résulte pas seulement dans la plupart des cas d’une simple perversion individuelle. Elle se développe souvent dans le cadre d’une famille, voire d’une famille « unie » au sens où elle fait bloc, y compris et surtout lorsqu’elle se sent attaquée par le monde extérieur. Il faut donc croire que la famille n’est pas davantage une garantie contre l’insatisfaction sexuelle que contre l’immaturité affective. La pédophilie y résulte spécifiquement d’une situation de confusion qui affecte généralement le couple lui-même, jusqu’à rendre plausible ou effective sa complicité objective dans le crime. La famille ferme d’autant plus les yeux que la violence des actes s’y dissout dans un bain de bons sentiments.

Ce fonctionnement familial d’une « pédophilie ordinaire » – que tendent à faire oublier les viols caractérisés – n’est sans doute pas évacué par hasard, lorsqu’on imagine que le mariage des prêtres – c’est-à-dire des mêmes qui, célibataires, seraient devenus pédophiles – ferait disparaître la pédophilie. On ne veut en effet pas voir que l’Eglise, comme la Famille, se trouve confrontée aux mêmes risques de confusions perverses auxquels elle ne sait opposer que la pratique, sinon la règle, du secret et, s’il le faut, de l’union sacrée contre ceux qui lui veulent du mal ! Le secret en effet, par lequel ces institutions s’appliquent à contenir le scandale, constitue l’une des pierres angulaires sur lesquelles se construit un espace privé qui se veut au-dessus des lois. Le modèle patriarcal y prévaut. Et dans le cas de l’Eglise, sa référence directe à Dieu en assoit l’autorité sur une Loi supérieure à toutes les autres.

Ainsi, au-delà d’une hypocrisie institutionnelle somme toute assez banale, on devrait s’alarmer davantage que l’Eglise, comme la Famille dite traditionnelle, protège d’autant plus naturellement ses pédophiles qu’elle contribue à les produire, en les plaçant, par délégation, dans une situation de toute puissance dont elle est elle-même la dépositaire. Identifié au Père, voire au Saint Père, voire encore à Dieu le Père, et soutenu par la Mère (alma mater), le prêtre est aspiré par l’abus de pouvoir comme l’ancien « pater familias », ou en tous cas son simulacre. Il y est porté par la poussée infantile de ce qui, dans sa sexualité y compris normale, participe d’un archaïsme où le narcissisme se pare de la séduction d’une force supposée supérieure.

Faut-il encore ajouter que le prêtre, en même temps qu’il lui faut être père, doit aussi rester un enfant ? Sa soumission, illuminée par son innocence sexuelle (démentie par les faits avérés d’auto-érotisme, d’hétéro et d’homosexualité) doit imprégner la force d’un idéal que son orientation spirituelle est censée délivrer de sa source trouble et tumultueuse. « Priez, mon fils », disait l’évêque de Nancy au tristement célèbre curé d’Uruffe !

C’est que l’Eglise, dans un singulier déni de réalité, pose que l’idéal du prêtre atteint la sublimation par le seul double effet de la volonté soutenue par la grâce. Elle s’obstine à méconnaître que les forces psychiques constitutives de l’Idéal appartiennent, dans l’histoire de chacun, à un fonds pulsionnel dont la gestion solitaire et approximative ne permet pas d’atteindre cette maturation sans laquelle le détenteur du moindre pouvoir (fût-il spirituel !) a tôt fait d’instrumentaliser l’autre. Certes, l’Eglise recommande le « discernement ». Elle va jusqu’à conseiller à certains de ses prêtres de consulter un psychanalyste, pourvu qu’il soit prêtre lui-même ou apparenté, comme si on ne lavait jamais aussi bien son linge sale qu’en famille ! Pourtant l’entre soi au nom de l’idéal partagé n’offre que peu de chances de servir la recherche d’une vérité autre ! Surtout lorsqu’on sait que plus l’idéal est élevé – et c’est bien le cas de l’idéal sacerdotal – plus le refoulement menace et, avec lui, sous la forme d’un renversement qu’on qualifiera de démoniaque, le passage à l’acte plus ou moins criminel.

Décidément, pour lutter contre la pédophilie de ses prêtres, l’Eglise devrait revoir non seulement ses positions en matière de sexualité et de vie affective, mais sa conception du pouvoir. Il lui faudrait réexaminer les représentations pour le moins ambigües qu’elle en donne et qu’elle légitime en les intégrant à une pédagogie du « c’est pour ton bien » qui a fait ses tristes preuves dans la gestion politique des hommes.

En un mot « la famille ecclésiale » devrait développer une autre forme d’autorité que celle qui condamne ses membres – y compris les plus sincères d’entre eux – à dissimuler leur vie, leur pensée, leurs liens affectifs et sexuels pour se reconnaître comme des hommes en marche vers eux-mêmes et vers les autres, et autrement qu’en jouant le rôle auquel on les a affectés.

La pédophilie des prêtres n’est que l’arbre qui cache la forêt. Une perversion larvée fissure l’édifice que les marbres et les dorures, comme les discours, ne cachent même plus !

Jean-Pierre BIGEAULT
Mars 2010


1 Cf. Lucrèce Luciani-Zidane, Le Monde , 15-03-2010

Les enfants (aussi) se tuent !

La science de l’enfant n’a pas fait avancer sa cause dans les proportions espérées. L’objectivation de ses troubles n’a eu d’égal que la banalisation de sa souffrance1. La dénonciation de ses privilèges n’a servi qu’à masquer les captations tyranniques (économiques et autres) dont il est devenu l’objet. L’école ne s’est pas réinventée : l’enfance est une terre ancienne et connue, l’éducation une forme d’agriculture un peu mécanisée et armée de pesticides mais résolument – mais sainement – tournée vers le rendement. L’enfant n’a pas à se plaindre. On lui consacre un gros budget !

Sur ce fond de médiocrité imaginative, le suicide de l’enfant fait tâche. S’il se met lui aussi à contester l’ordre vivant, le pacte fondamental, l’espoir dans l’avenir (le progrès), où va cette société déjà dépressive que ses médicaments (et le football à la télévision…) et sa fragmentation abandonnent à son errance et à sa violence.

L’enfant écoute aux portes. Il a l’oreille sur les trous de ce monde, comme Rimbaud sur tel soupirail d’un sous-sol qui est à la fois le non-dit et l’inconscient. L’enfant est un lieu de passage entre la peur et l’espérance : l’odeur du pain, de la vie, peut remonter du pétrin enfoui, l’acidité du levain et des moisissures, la fermentation de l’amour, le traversent. L’enfant est au carrefour des tentations de l’homme : il a tout autant envie de s’élancer que de tomber, de construire des idoles que de rentrer dans les cavernes des dynosaures ?

Mais l’enfant sait d’un savoir difficile qu’il est ainsi divisé : ombre et lumière, il est nuit et jour, il a un double, il est ce qu’il n’est déjà plus, l’ayant perdu, et qu’il reprend à la mort comme un fantôme, il fuit son petit cadavre de polichinelle et le rejoint par une porte dérobée pour le remettre en marche, s’il pouvait le sauver !

Comme au temps de Kafka, l’enfant doit sauver son père, sa mère, son frère, petit christ en nativité d’étable et scolarité d’apprenti transcendantal ; et il rêve de tuer quelqu’un comme Hérode. La toute puissance de son imagination et les perspectives qu’elle abrite lui bourrent la tête.

Il se jette contre un mur, il avale une ampoule, il s’endort dans l’eau au sourire de la mort. Qui n’a vu en soi l’enfant condamné ne comprend rien à l’automutilation, à la drogue et à l’ordinaire de l’échec scolaire qui ne sont qu’un lointain écho à la mort du nourrisson – ce mystère !


1 Derrière la maltraitance reconnue, combien d’enfants choyés sont encore humiliés et offensés !

J.-P. Bigeault
In les Cahiers de l’EFPP – N°16 – p.9 – Automne 2012

Le mélange des genres – J-P. Bigeault – 15 juin 2010

Les circonstances qui nous réunissent m’ont dicté le sujet dont je vais vous parler et que j’ai concocté à votre intention comme un préambule à notre débat.

Puisqu’il s’agit de fêter à la fois la sortie d’un livre et l’âge de son auteur, mon sujet tout tracé s’appelle en effet “le mélange des genres”.

Mais ce sujet est moins circonstanciel qu’il n’y paraît. Il touche même à un point essentiel de ma vision de l’éducation et de la vie en général.

Avant de m’en expliquer, je dois vous dire que “le mélange des genres” a les meilleures raisons de nous faire croire qu’il ne procède que d’un accident de la logique voire d’une volonté délibérée de revenir à un stade supposé primitif de la nature tel que l’indistinction des origines.

C’est en effet que “le mélange des genres” nous renvoie à une réalité qui est aux antipodes de celle dont nous nous efforçons de croire qu’elle imprègne, voire gouverne notre pensée (ce que Descartes appelait les idées claires et distinctes) ou notre vie elle-même (notre identité, notre statut professionnel, sans parler bien sûr de notre sexe et de notre culture, références dont la solidité quelque peu illusoire nous est pourtant nécessaire !)

Ainsi “le mélange des genres” plus ou moins synonyme de confusion (confusion mentale, confusion des sentiments…) a-t-il vite fait de discréditer, dans l’ordre de la pensée comme dans la vie, ceux qu’on appelle des touche-à-tout voire des illusionnistes, pour ne pas dire des pêcheurs en eaux troubles, sans parler des enfants et des poètes !

Or cela provient, me semble t-il, de ce que “le mélange des genres” provoque souvent en nous ce sentiment “d’inquiétante étrangeté” dont parle Freud et qui ne nous renvoie pas seulement à l’inquiétude intellectuelle provoquée par l’incertitude des repères mais à la présence en creux d’une vérité que nous connaissons trop bien et qui cependant reste cachée – refoulée – en raison du trouble que sa révélation ramènerait à notre conscience. La rencontre d’un sosie (notre double) ou celle d’un transsexuel (l’autre de notre sexe); mais bien d’autres coïncidences non moins étranges, nous confrontent plus ou moins à ces réalités d’autant plus troublantes qu’elles nous sont, quoique nous en pensions, plus familières. Car nous savons bien que notre singularité et l’unité même du matériau dont notre image est faite ont aussi leurs limites !

Mais plus couramment, en tant qu’il se dessine comme l’ombre incongrue voire déplacée d’une réalité qui reste en nous toute brûlante sinon lumineuse, le mélange des genres se manifeste de façon plus ordinaire tant dans les exploits de notre vie affective que dans ceux de notre activité de pensée. Au début en effet d’une pensée créative (pour ne parler que du début !), les flammes entremêlées de nos idées et la part d’ombre qui s’y trouve encore attachée nous laissent entrevoir le foyer incertain d’où émergera, comme du cœur de notre planète, la croûte réputée féconde de notre discours. Quant à l’amour, si conscients soyons-nous des buts qu’il poursuit et des moyens que nous mettons en œuvre pour y parvenir, si, comme le disait Montaigne, les pièces qu’il réunit ne donnent même plus à voir la couture qui les a jointes, on admettra que Stendhal lui-même serait bien en peine de nous dire de quelles matières ces pièces sont le glorieux mélange, alors même que leur cristallisation en fait une seule lumière.

Mais laissons là ces mariages heureux où le mélange des pensées et des sentiments parvient à sublimer le malaise des étrangetés en le transformant en cette aventure familière de l’acceptation des différences qui fait de l’amour une expédition normalement exotique.

S’agissant (pour y revenir !) des circonstances qui nous réunissent, je parierais volontiers qu’à me suivre dans cette espèce de digression par laquelle je vous introduis à mon vrai sujet qui est celui de l’éducation, votre bienveillance amicale ne s’émeuve à tout le moins de la bizarrerie de ma démarche qui, à défaut de marier la carpe et le lapin, pourrait aussi bien passer pour s’appliquer à mettre la charrue devant les bœufs !

Revenons donc un instant à l’occasion qui, comme chacun le sait, fait le larron, et virtuellement à ces larrons en foire que sont les éducateurs !

Dans la circonstance présente – qui se doit d’être éminemment pédagogique – il me revient de vous faire admettre que mélanger l’âge du capitaine et le volume de la cargaison – c’est-à-dire le contenu du livre que je suis censé mener à bon port – permet de raccrocher la navigation de la pensée éducative à la réalité d’une expérience que j’oserais dire faite de pièces et de morceaux et condamnée à se développer dans une certaine forme d’instabilité en effet parfaitement marine. J’ajouterais, pour rester dans la métaphore océanique, que l’expérience que je rapporte se situe spatialement dans un malstrom avéré et que sa temporalité même s’apparente davantage à celle d’un voyage voire d’une petite épopée qu’à ce qu’on appelle simplement une histoire, pour la bonne raison que les effets y sont plus souvent à la recherche de leur cause que l’inverse. Mais mélange pour mélange, et roulis pour tangage, j’irais même jusqu’à dire, pour qualifier la situation en la rattachant au mélange, voire à la mêlée des gens qui s’y trouvent embarqués : la mer et le vent viennent enfin au bateau, selon que les marins, comme Ulysse, s’arrangent du mélange de leurs désirs avec ceux des dieux !

Je parle donc – vous l’avez compris – d’une expérience éducative qui mélangea son genre à celui de ma vie et de la vie de beaucoup d’autres, et je n’exclus pas que ces vies, se jouant elles-mêmes sur plusieurs tableaux, comme le conscient et l’inconscient – pour ne parler que d’eux – aient été à l’expérience ce que fut au destin d’Ulysse, le mélange des affaires rationnelles relevant du pilotage avec les autres, vouées à la dérive, où rôdent les images du sexe et de la mort.

De ce mélange difficile et cependant merveilleux vient évidemment le titre que j’ai donné à mon livre, ce livre dont, comme l’aède de la Grèce antique, je ne suis que le transmetteur vaguement homérique. “Une poétique pour l’éducation”, si elle prend le risque d’apparaître comme un traité sur l’éducation voire un catalogue raisonné de ses tableaux, n’est donc surtout dans son essence qu’un éloge de la navigation pédagogique à travers les “façons de faire” auxquelles nous invite et nous oblige son objet qui ne s’offre lui-même dans son essence que comme un chahut et un charivari d’eaux mêlées, un mélange de rêves et de réalités, une odyssée sans merci telle que l’expression “roman de formation” n’en serait que la forme atténuée, celle plus fréquentable d’une plage à marée basse.

Il convient donc d’entendre cette poétique dans la ligne de pensée qui, de Valéry à Bachelard et – plus près encore de notre idée d’engagement -, à René Char, s’emploie à faire ressortir les liens qui associent la contemplation à l’action et la connaissance objective à l’expérience du sujet connaissant.

Dans cette conception, l’objet éducatif n’est réductible à aucun des éléments qui le composent. Il ne peut être compris que comprenant lui-même – si restreint ou fugitif qu’il soit – une petite totalité de vie. Ainsi, l’éducation au « respect de l’autre » fait-elle appel, tout autant par exemple que l’apprentissage des opérations en mathématiques, à l’intégration de modèles plus complexes que ceux auxquels on est tenté de se référer trop vite et trop exclusivement en regardant désespérément vers la morale ou vers la logique. Le respect de l’autre se découvre dans l’exigence de réciprocité qu’implique la rencontre. Or, comment introduire, dans le partage d’un espace, d’un savoir, ou d’un pouvoir, la marge de frémissement par où passe entre les personnes l’assentiment à l’altérité ? C’est ici qu’interviennent par exemple ces toutes petites quantités d’éducation qui, d’un simple geste ou d’un regard, ouvrent le chemin à peine visible d’un échange qui prend déjà corps pour ainsi dire dans le corps. Il s’agit en effet pour l’éducateur, confronté au repli défensif des individualités, de solliciter cette perméabilité quasi cellulaire de la sensibilité qui permet ici aux images de soi et de l’autre de franchir les barrières d’une identité refermée sur sa peur. Ce mélange là, pour ainsi dire musical, c’est l’attention fine au bout des doigts de l’éducateur qui en devient le vecteur, alors même que le jeu relationnel s’élargit au clavier du groupe, ainsi que cela arrive à l’école dans la classe dite coopérative.

Mais on pourrait en dire tout autant de l’acquisition d’une pratique comme celle de la division en calcul numérique. La résonance imaginaire d’une telle opération – comme l’avait explicité il y a longtemps Mélanie Klein – invite sur les franges de la conscience des représentations corporelles et relationnelles qui justifient, si besoin est, que l’éducation les prenne en compte. De ce point de vue, on ne s’étonnera pas que l’esprit d’analyse puisse bénéficier d’exercices, qui, dans d’autres domaines de la symbolisation, travaillent sur la dialectique du démembrement et du remembrement. On dira donc que la danse comme la vie politique des groupes, utilisées à bon escient, sont susceptibles de contribuer au développement de cette capacité intellectuelle.

De ces constatations, il résulte que les moyens d’éduquer sont non seulement nombreux, mais contraints, eux aussi, de s’allier entre eux comme, dans un groupe bien décidé à faire quelque chose, les éléments hétéroclites de ce qui devient une équipe. Cela fait un peu pagaille ! Mais comme dans une démocratie, il arrive que cela aille dans le sens du développement des hommes !

C’est ainsi que je vois le moindre des actes éducatifs comme la touche de matière et de couleur ajoutée par le peintre à son tableau. L’isolation de ce point risque de nous faire oublier qu’il ne tire sa force que de s’inscrire dans un ensemble en épousant sa complexité, c’est-à-dire en se fondant dans le mélange dont il est fait lui-même.

Evidemment cette conception totalisante de l’éducation dont bien des pédagogies – et en particulier celle de Freinet – se sont inspirées, demande d’affronter le mélange des genres et le malaise plus ou moins caché qui s’attache à son désordre. Car s’il est plus facile de casser l’éducation en morceaux clairement distincts et rigoureusement séparés : enseignement, instruction civique, morale, voire plus récemment éducation sexuelle, c’est aussi que cela semble plus supportable. Si vous êtes professeur de lettres et que vous commentiez le texte célèbre de Châteaubriand consacré à “la prise de Moscou”, l’image de “la belle fiancée” offerte à Napoléon vous confronte d’autant plus au mélange des genres que ce mélange revêt une actualité percutante chez les adolescents que sont vos élèves. Vous êtes d’abord tentés de passer votre chemin. Cependant, si la force de l’image qui renvoie le sexe et la guerre à un certain fond commun de violence, au lieu d’ouvrir le chemin de la connaissance, se met à le barrer sous l’effet d’une excitation qui inhibe la pensée, que faites-vous ? Car, s’il vous vient à l’esprit que le traitement médiatique de l’information ne se prive pas tous les jours que Dieu fait de jouer sur une excitation du même genre -et cela avec toutes les conséquences psychiques, socioculturelles et politiques que l’on sait – ne croyez-vous pas qu’il est devenu urgent de mélanger l’analyse de l’objet avec l’analyse de son effet sur le sujet supposé pensant ?

Enseignant, j’ai été confronté à ces émois et à beaucoup d’autres moins immédiatement repérables. Et c’est d’avoir dû et pu mélanger la vie – ma vie – à mon métier, que j’ai mis en rapport les confusions vivantes dont ils tiraient, l’un et l’autre, leur force. Encore, si j’ose dire, fallait-il s’y coller ! Je veux dire mettre en face les facettes, supposées retenues à l’écart, de la vie et du métier. Admettre par exemple que le fameux objet sexuel, considéré comme un objet éducatif, ne cesse de se révéler, bien en deçà et au-delà de l’éducation comme le produit d’un mélange tout aussi primitif que savant et associant des éléments cognitifs et affectifs à une activité physique où l’esthétique, la morale et la politique entrent en jeu.

Mais le mélange des genres – quand bien même il semble s’éloigner de l’objet sexuel – nous y ramène toujours plus ou moins, si nous regardons fonctionner l’éducation dans la réalité des actes qui en relèvent et qui produisent véritablement de l’homme. Qu’il s’agisse en effet de l’enseignement ou de l’éducation, les acquisitions et les acquis constitutifs de l’homme proviennent d’opérations non seulement irréductibles à leurs aspects mécaniques, mais à vrai dire beaucoup plus proches de processus qui, pour être de l’ordre de la création, n’en rappellent pas moins à certains égards la procréation elle-même. Agglutinantes en effet, coalescentes, les alliances qui nous ouvrent la connaissance et nous permettent de l’intégrer redessinent leurs mélanges en liens qui se nouent : elles fabriquent de l’un avec du multiple et du social avec du subjectif.

On pourrait ainsi parler d’une érotique de l’apprentissage. On pourrait déjà dire qu’il y a une poétique de ce qui, pour s’intégrer en nous comme un nouveau savoir, doit être mélangé dans le creuset d’une expérience où se mêlent non seulement d’autres savoirs plus ou moins déjà assimilés et d’origines différentes, mais aussi d’autres humains que nous.

Je n’ai appris à lire dans Romain Rolland (j’étais loin de savoir à l’époque son lien avec Freud) qu’en mélangeant le plaisir singulier de son héros, Jean-Christophe, à diriger les nuages comme un orchestre, avec celui de notre maître à conduire la classe, et même avec l’amour secret que je portais à son visage comme à un ciel. Et beaucoup plus tard, n’ai-je pas vu bien des dyslexiques – qui se vengeaient comme ils pouvaient de buter sur les lignes barbelées de la langue, – ne devoir leur salut qu’à des pratiques du monde où l’inversion des signes comme la subversion des valeurs retrouvaient leur légitimité de protestation créative. A quoi servent des ateliers pédagogiques comme l’improvisation poétique ou théâtrale, sinon à rouvrir le champ des signes à la polysémie des mélanges où le langage se régénère.

Mais n’est-ce pas dans toute vie, et d’un bout à l’autre du parcours de la connaissance, et à plus d’une étape décisive, que les choses se passent ainsi : un mélange se fait entre les perceptions, les idées et les images du monde qui s’engouffrent en nous et nos vieux classements sont comme des râteaux devant la mer. Il nous faut, comme Ulysse roulé par la houle du large, nous enfoncer droits dans la mer brumeuse et gagner les terres incertaines.

Oui ! Quelque reproche qu’on puisse faire à la méthode globale, la bouillie originaire a encore de beaux jours devant elle ! Quant à notre poétique – qui, pour le cas où vous en auriez douté, se recommande beaucoup plus d’Homère ou de Montaigne que de Boileau – elle renvoie l’artiste à sa source qui, comme toute source, est d’abord un mélange de terre et d’eau.

Mais parler de mon expérience ne suffit pas. Comme la dédicace de ce livre en fait foi, une poétique de l’éducation renvoie à bien d’autres sources. Car le mélange des sources en éducation, c’est aussi le mélange de ceux qui la font et, dans les coulisses de ce petit théâtre, le mélange de ceux qui l’inspirent !

S’agissant des premiers, je dirais que les interactions qui commandent le processus éducatif ne se développent elles-mêmes qu’aux prix de mélanges bien spécifiques :

-Mélange des personnes et de leurs intériorités psychiques avec des dispositifs et des organisations qui ne jouent leur rôle structurant et médiateur que s’ils sont eux-mêmes sans cesse réinvestis par le désir de les produire.

-Mélange qui en découle de l’équipe éducative dont la fonction régulatrice dépasse largement l’ordre organisationnel, dès lors qu’elle permet, par la liberté cultivée de son mélange, le partage de ce qu’on pourrait appeler les intimités pédagogiques.

-Mélange enfin – tout aussi rarement réalisé malgré les grands discours et le laxisme ordinaire – de l’éducateur et de l’éduqué, voire – dans le cadre institutionnel – de l’ensemble ou des sous ensembles formés par les éducateurs et les éduqués dans le contexte d’actions communes, elles-mêmes productives de ce mélange toujours difficile de l’éducation et de l’institution

Mais ce dernier mélange – qui n’échappe, on s’en doute, à la confusion qu’au prix d’une construction sans cesse remise sur le métier – n’est évidemment pas tombé du ciel. Dans l’histoire institutionnelle que je rapporte, il a trouvé son inspiration dans les développements de la pensée qui ont marqué l’après guerre et plus particulièrement du côté de Freud et de Bachelard. C’est ainsi que la psychopédagogie alors naissante – celle-là même qui se trouve être encore l’emblème de l’EFPP – cette pédagogie qui entrouvre l’éducation française à la Psychanalyse, nous aura incités à repenser l’enseignement pour des adolescents dont les difficultés dites d’adaptation n’étaient pas liées à un déficit intellectuel. L’objectif rééducatif, voire tout simplement éducatif de cette démarche, devait prendre en compte les données particulières d’une institution qui avait la forme d’un internat. Cet objectif, dont Raymond Cahn ici présent aura été, non seulement le témoin amical mais le partenaire averti, a trouvé depuis lors, dans l’œuvre même de ce dernier, l’un sans doute des concepts les mieux adaptés pour en rendre compte :le concept de subjectivation, et, s’il se dessinait en filigrane de notre jeune pratique, c’était à travers l’idée que l’activité de connaissance devait être mise au service du développement d’un sujet ouvert, non seulement à sa propre construction, mais à celle de ses relations avec les autres.

Mais ce mélange capital de la Psychopédagogie n’aura pas été le seul à nous guider !

Dans une institution – qui se veut une école – fût-elle tournée vers l’éducation !- le mouvement dynamique de la connaissance doit être rapporté à ce qui en constitue l’économie propre. C’est ici que la pensée du philosophe des sciences, Gaston Bachelard, est venue soutenir notre intuition première.

Pour Bachelard en effet, qu’il s’agisse de la démarche scientifique de recherche ou de l’apprentissage demandé à l’enfant, à l’adolescent ou à l’adulte, l’accès à la connaissance ne procède pas d’une démarche linéaire et d’abord ordonnée : un mélange d’idées, d’images et d’états d’âme donnent au désir de savoir la force d’une impulsion où l’irrationalité même de « l’inconnu » joue un rôle primordial.

Mais la prise en compte de cette réalité première – sinon primitive – comme condition de la démarche doit s’accompagner d’une autre qui conditionne tout autant l’efficacité du laboratoire de recherche que celle de la classe. S’agissant de cette dernière, Bachelard parle d’une « pédagogie dialoguée » et il souligne que le mélange dialectique d’une certaine forme de réciprocité (entre les chercheurs mais aussi entre les maîtres et les élèves) et ce qu’il appelle très clairement «  la régulation cognitivo-affective » de ce mélange sont également nécessaires. C’est dire si l’accès au savoir ne suit pas d’emblée la structuration d’une connaissance objective qui en reste pourtant le but !

C’est dire si le mélange le plus vivant d’où procède la connaissance nous rapproche d’une autre source ! Or, c’est bien celle – tout aussi bachelardienne que la première – à laquelle je me réfère pour parler d’une « poétique pour l’éducation ». Pour Bachelard en effet, la matière où s’enracine le désir de chercher et d’apprendre se constitue des mêmes éléments qui, dans la structure du poème, témoignent d’une activité de l’inconscient. Au point que le philosophe de « la Psychanalyse du feu » dit lui-même explicitement : « on ne peut étudier que ce qu’on a d’abord rêvé».

Que l’éducation s’inscrive elle-même dans cette ligne de pensée ne saurait surprendre. Dans le mouvement de connaissance qu’elle implique, l’éducation fait elle-même appel – à l’instar de la Science et de la Poésie – à une sorte de saut dans le vide ! Car tel est le destin de celui ou de celle qui va devoir passer d’un monde, supposé connu – bien évidemment assimilé à une forme de rationalité – à l’apparente irrationalité d’un modèle nouveau. Un tel saut qualitatif va chercher son énergie là où elle se trouve, c’est-à-dire bien en deçà de la rationalité du but poursuivi, dans les soubassements même du message adressé par l’éducateur à l’éduqué et qui a pour visée de faire accepter par ce dernier l’irruption d’une connaissance insolite.

C’est ainsi que je dois à mon propre père d’avoir découvert comme Montaigne, lorsque j’avais 10 ans, la relativité d’un principe que j’avais appris à l’école maternelle, lorsque ma première et vénérée institutrice m’avait fait comprendre que les billes de mon premier ami n’étaient pas les miennes !

Mais pendant la guerre… alors que les troupes allemandes d’occupation avaient installé leur cuisine dans l’école où je vivais, mon père, qui était un honnête homme, me pria de mettre à profit l’étroitesse de mes épaules pour me glisser jusqu’aux réserves de l’ennemi et y dérober quelques boîtes de saucisses, par ailleurs déjà récupérées par les allemands sur les anglais hâtivement rembarqués !

Ainsi, de même que les parallèles se rejoignent dans une géométrie non euclidienne, la bonne morale familiale se livrait à des exercices véritablement imprévus. Je ne suis pourtant devenu ni un héros, ni un délinquant ! Mais, pour tout dire, si l’aventure de ce mélange éducatif m’a appris quelque chose, c’est au visage lui-même mélangé de mon père que d’abord je le dois : son sourire sur fond de gravité douloureuse, le ton décidé en même temps qu’intimidé de sa voix, une référence un tantinet amusée à la sportivité de la situation. Cet ensemble de signes qui confèrent une autorité à la pensée, plus que le raisonnement, m’aura permis de comprendre que la justice et la liberté, sans parler de la survie, justifiaient que je sois fidèle autrement aux préceptes de mon institutrice.

Le sens ne vient donc aux choses que si nous les sentons d’abord s’inscrire dans la complexité vivante, ce mélange de corps et d’esprit, de ceux qui nous les apprennent et c’est à ce prix qu’elles s’inscrivent en nous sous les espèces d’une vision nouvelle.

Je parle de vision dans la mesure où, comme le poète – je dirais presque comme le mystique – je n’approchais l’incommensurable du haut des mes dix ans que dans la chaleur d’une image communicante – bachelardienne à coup sûr – où ma raison pouvait s’ouvrir au délire d’une loi nouvelle.

Mais pour vous aider à saisir la force du lien qui associe selon moi l’acte éducatif à l’acte poétique, permettez-moi de vous lire quelques lignes du texte du poète Pierre Reverdy1, intitulé « cette émotion appelée poésie » :

« En effet, pour si étrange que cela puisse paraître, ce sera la façon particulière de dire une chose très simple et très commune qui ira la porter au plus secret, au plus caché, au plus intime d’un autre et produira le choc. Car le choc poétique n’est pas de même nature que celui des idées qui nous apprennent et nous apportent du dehors quelque chose que nous ignorions ; il est une révélation d’une chose que nous portions obscurément en nous et pour laquelle il ne nous manquait que la meilleure expression pour nous la dire à nous même. Cette expression parfaite donnée par le poète, nous l’adoptons, nous nous l’approprions, elle sera désormais l’expression de notre propre sentiment qui l’épouse. »

Voilà, conclut Pierre Reverdy, pour ce qui est de la forme et du fond. Comme le poème, l’acte éducatif procède lui-même, selon moi, d’un tel mélange !

Mais, pour en revenir, dans le prolongement de ce texte, au mouvement éducatif de l’ouverture à l’objet inconnu et pourtant connu qu’on appelle aussi « l’autre », et au risque de vous entraîner encore un peu plus loin dans le mélange des genres, j’aimerais, pour amorcer la fin de ce propos, faire ressorti tout aussi bien la perspective ultime de l’éducation, sa contribution décisive à l’humanisation de l’homme telle que le philosophe Karl Jaspers la voit dans les derniers moments de la tragédie d’Hamlet :

“…C’est le frisson du savoir aux limites de l’homme. On n’y trouve ni mise en garde, ni préférence mais le pur savoir de l’être dans ce non savoir que dénonce sans trêve la volonté d’atteindre le vrai et qui met la vie en échec. “Le reste est silence”.

Et j’ajouterai :

Savoir et non savoir, bruit et silence, le mélange des genres est aux deux bouts du chemin !

Si l’éducation doit mélanger les genres jusqu’à de telles extrémités, vous comprendrez qu’elle bénéficiera de corriger sa dimension tragique par l’humour. Car l’humour reste la meilleure façon pour l’esprit de se raccrocher aux branches de la connaissance, quant il a compris que l’arbre du savoir est aussi celui de l’ignorance.

Le vieil Ulysse, en se nommant « Personne », pour échapper au Cyclope de l’angoisse, avait déjà atteint le fond et le sommet de ce mélange d’être et de non-être.

Dans Une poétique pour l’éducation, j’ai aussi voulu montrer que l’éducation était une chose trop sérieuse pour la confier à des éducateurs, je veux dire à des éducateurs qui ne verraient pas que le métier d’éduquer, comme celui de vivre, est aussi un jeu – un jeu de société, cela s’entend !


1 Sable mouvant, Poésie Gallimard, 2003

La haine des jeunes – J-P. Bigeault – décembre 2006

La haine des jeunes est une vieille affaire qui plaît aux moralistes (et aux politiques), pour ne parler que de ceux-là !

Les beaux jours des massacres guerriers ayant fait long feu (avec la der des der de 14-181), comment reprendre en main, au-delà des banlieues, cette jeunesse d’autant plus menaçante que ses lendemains ne chantent pas.

Cette question sécuritaire est aujourd’hui posée et sa réponse se dessine entre les lignes d’un « combat pour le savoir » au nom duquel il deviendrait urgent de débarrasser l’école de ses pédagogues.

Mais les meilleures croisades ont des visées plus hautes !

On ne meurt pas pour la défense d’une méthode de lecture. Mais si, derrière la technique, on peut apercevoir le principe d’une procédure et d’un ordre qui la dépasse de toute sa hauteur, alors tous les espoirs sont permis !

C’est donc, rattaché comme il se doit au savoir et à la science, un humanisme qu’il faut défendre.

Une passion comme celle que nourrit aujourd’hui l’amour des syllabes, mobilise, au-delà des malheureux parents d’enfants dyslexiques, la troupe effarée d’une société qui a du mal à déchiffrer son propre texte quand l’Ecole (sans parler de l’Eglise, du Parti ou du Syndicat) ne lui en donne plus les clefs.

Car si les enfants ne savent plus lire, cela rappelle quelque chose aux adultes. La jeunesse n’est que le miroir dans lequel se reflète leur image de lecteurs qui ont perdu leurs repères.

***

Au-delà donc d’un retour rassurant à des techniques solidement accrochées à la rationalité retrouvée des logiques cognitivistes, comportementalistes et neurobiologiques, il faut exhumer ces principes dont la jeunesse dans sa sauvagerie constitue le déni.

Car il n’est d’humanisme que contre la barbarie.

C’est pourquoi la haine des jeunes s’inscrit comme une nécessité dans la reconquête de l’ordre perdu. Briser le miroir où se donnent à lire les balbutiements de la vie qui se fait – tâtonnante – telle est l’urgence d’une philosophie douceâtre et hargneuse comme celle d’un donneur de leçon parmi d’autres, dont les récents succès ont défrayé la chronique. Il s’agit de l’œuvre et des manœuvres de Monseigneur Tony Anatrella, prêtre de son état, psychanalyste, spécialiste de la psychologie juvénile et chercheur en psychiatrie sociale.

La multiplicité des approches grâce auxquelles cet auteur s’est illustré pour traiter d’un sujet tel que l’homme, son corps et son âme, ne surprendra que ceux qui ne comprennent pas que l’ordre du monde est une totalité dont la cohérence doit subsumer le peu de connaissance que nous en avons !

Mais l’unité du propos, arraché à une psychanalyse taillée à la demande2, ne fait aucun doute : « la société dépressive »3  tournée irrésistiblement vers la mort est malade d’une régression dont elle va chercher les forces destructrices dans son modèle identificatoire qui est l’adolescence.4

Nous retiendrons de cette hypothèse lumineuse la face la plus cachée : la haine des jeunes.

La forme évidemment compassionnelle qu’elle prend chez un humaniste chrétien mérite en effet d’être retournée – psychanalytiquement – au bénéfice d’une autre idée, celle-là bien freudienne, qui est celle de l’ambivalence.

Car accuser la société de sombrer dans le narcissisme, l’absence du sens de l’autre (censée en découler comme une évidence), l’engluement dans la sexualité infantile5, l’impossibilité de lier un lien dans la fidélité…, et soutenir que ces traits affectifs et comportementaux proviennent d’une identification massive à l’adolescence, n’est-ce pas développer une conception de la « psychologie juvénile » aussi réductrice que disponible à la malveillance ?

Appelée à la rescousse, la psychanalyse vouée contre elle-même aux partis pris d’un moralisme et d’une apologétique qui lui sont totalement étrangers, voit ses concepts pervertis au profit d’une construction qui n’a pour fondation que des tabous convertis en dogmes.6

Dans cette manipulation, la pensée doit abdiquer sa liberté. Quant à l’analyse des processus qu’elle conduit, il lui faut sacrifier, chaque fois qu’il est possible, la complexité de sa dialectique à la simplicité de son application bien pensante.

C’est ainsi que la sexualité, concept d’une telle ampleur qu’il intéresse l’ensemble du champ psychique jusqu’à en soutenir, par le biais du désir, toute la dynamique relationnelle7, devient, pour le clinicien transformé en géomètre, un simple repère de maturité.

Quant à la jeunesse, dont l’auteur lui-même se prend à embrasser l’incertaine étendue jusqu’à l’horizon brumeux d’une post adolescence « qui ne parvient pas à faire le deuil de sa sexualité infantile », elle ne serait elle-même que le stade interminable d’un développement qui ne concerne le psychisme que sous l’aspect de la conscience morale du sujet.

Globalement, cette jeunesse, plus fantasmée que réelle, se donne à voir pour ce qu’elle est chez l’adulte qui, faute de s’en être une bonne fois extirpé, reste enfermé dans « les perversions détournées du plaisir génital et recherchées pour elles-mêmes »8 dont T. Anatrella oublie qu’elles sont, pour Freud, normalement constitutives de la sexualité humaine.

Ainsi catégorisée, une telle jeunesse se caractérise par l’incapacité à sortir de soi et donc à aimer. Il en va génériquement du jeune comme de l’adulte homosexuel, voire hétérosexuel non marié (sic), dont l’immaturité psycho morale se mesure à son incapacité à intégrer la dimension de l’autre et la procréation9 dans une sexualité dite « objectale ».

La messe est dite !

On le voit bien dans les dérives pulsionnelles de la violence, de la délinquance, de la toxicomanie et du suicide, les jeunes ne sont pas doués comme leurs pères pour la sublimation10, et c’est pourquoi il est urgent que leurs pères cessent de vouloir leur ressembler !

Et même, quand ces jeunes sont doués pour les études, « le sentiment de toute puissance, le refus de la société, le narcissisme et la pensée magique » ne les conduisent-ils pas à produire des idéologies telles que le marxisme léninisme ou l’existentialisme sartrien « élaborés pendant la période juvénile de leurs auteurs »11 dont il est clair aujourd’hui qu’elles relèvent peu ou prou du « passage à l’acte » !

Car les « pulsions partielles » qui conduisent l’adolescent comme le sujet dépressif à « tourner en dérision, casser, détruire », inspirent ces esprits brillants  « qui n’ont pas pu mettre en place un Idéal du moi » et développent en conséquence « les symptômes d’une crise de sens de l’idéal ».12

Les faux prophètes (dont le Rimbaud de Paul Claudel sera sans doute retiré de la liste13) ainsi clairement désignés comme les fossoyeurs de « la loi des pères », le pseudo humanisme laïque qui s’en est gavé – en particulier depuis « les années 60 » – n’est donc qu’un humanisme des pulsions partielles, fomenté par la jeunesse.

Qu’ont-ils donc fait de cette belle jeunesse qui n’aura manqué que d’une éducation délivrée des ses illusions rousseauistes14 et rendue à sa fonction de transmission de la culture (« cette boussole ») pour échapper au « tags, graffitis, aussi bien que rap », qui ne sont que les épiphénomènes d’une « subjectivité vide et d’une intériorité laissée en friche ».15

Ainsi, entre la culture immature des surdoués et l’anti-culture des nouveaux débiles, l’adolescence ne sera délivrée de son « infantile perversion polymorphe » que si elle accède aux « valeurs » qu’on lui a trop souvent cachées16 et que dans son humanité tronquée (ou pour mieux dire, partielle), elle n’a jamais entraperçue qu’à travers son narcissisme.17

Au bout du compte, la psychanalyse et la morale chrétienne ajustées l’une à l’autre à grands frais de liaisons pour ainsi dire adultères, on en vient à penser que la dépression guette, dans son nomadisme conceptuel, notre directeur de conscience happé par l’épicier d’un inconscient vendu à la coupe !

La jeunesse dont il parle ressemble à quelqu’un pour qui, l’altérité de l’autre serait, comme l’inconscient lui-même, une terre de mission dont les sauvages (nettement moins « bons » que ceux de J.J. Rousseau) flirteraient sans vergogne avec l’animalité d’avant l’Œdipe.

Comme il est urgent de sauver les homosexuels de cette dégradation d’humanité dont ils sont les tristes victimes18, il faut sortir les jeunes de la pré génitalité qui les poursuit jusqu’à faire de leur vie, comme disait Bossuet, « la vie d’une bête ».

Revenons donc à la tradition coloniale19 de l’empire sur les autres, comme – au nom d’un Idéal du moi dressé en bannière – sur son propre soi, délivré de tout narcissisme !

La haine des jeunes rejoint ainsi la haine de soi, quand la culpabilité des faux-pères lève, contre le « plaisir », les tables morcelées de la loi.

L’ennui, c’est que dans les moments de transition (faut-il dire « de crise » ?) entre les cultures, cette projection banale ne sert qu’à déployer l’auto destruction de ceux qui, comme à Sodome et à Gomorrhe, ne savent regarder que derrière eux !

Rendons tout de même grâce à Dieu que, sur le terrain, des éducateurs qui ne confondent pas toujours le respect des jeunes avec leur idéalisation20, n’érigent pas, entre leur immaturité et leur maturité, la barrière ainsi extraite d’une bible freudienne traduite à la hâte et asservie à une cause qui n’est pas la sienne !

Quant au Rap, qu’il n’est d’ailleurs pas question d’enseigner aux élèves de Stan’, on peut espérer qu’il n’est pas pour eux le signe ultime d’une civilisation qui mourrait en même temps que Dieu. Et aussi bien, quant ils voient à l’œuvre la capacité d’aimer des adultes-prêcheurs, n’ont-ils pas lieu de se demander si la masturbation et la contraception des adolescents21 font courir de plus grands risques à l’Idéal que la suffisance et la stérilité de ses défenseurs ?

Car, ce que T. Anatrella appelle « la pseudo vie amoureuse des jeunes »22 vaut bien le pseudo amour de la vie de ceux qui les accusent de leur propre mort !


1 Cf. ENRIQUEZ (Eugène), De la horde à l’Etat, Paris, Gallimard, 1975,
2 Cf. Revue GOLIAS, N° 103-104, juillet/août/septembre/octobre 2005, pp. 85-104.
3 Cf. ANATRELLA (T.), Non à la société dépressive, Paris, Flammarion, 1994.
4 Cf. ANATRELLA, Interminables adolescences, Paris, Le Cerf-Cujas, 1988.
5 «  Dont les jeunes ne parviennent pas à faire le deuil », ainsi qu’en témoigne la masturbation ! Cf. ANATRELLA, Le sexe oublié, Paris, Flammarion, 1990.
6 Cf. ANATRELLA, Non à la société dépressive, opus cité, p. 128.
7 Dynamique dont les objets sont légion, à la différence de l’instinct dont, quoi qu’en pense Tony Anatrella, la pulsion constitue la perversion normalement humaine. Cf. LAPLANCHE (J.) et PONTALIS (J.B.), Vocabulaire de la psychanalyse, p. 466.
8 Cf. ANATRELLA (T.), Non à la société dépressive, opus cité, p. 105.
9 Cf. ANATRELLA (T.), Non à la société dépressive, ibidem, p. 188.
10 Dont le concept hasardeux, chez notre auteur, semble correspondre à  l’  « idéalisation », laquelle, liée au narcissisme, pourrait devenir suspecte à une lecture psychanalytique.
11 Cf. ANATRELLA (T.), Non à la société dépressive, opus cité, p. 42.
12  Cf. ANATRELLA (T.), Non à la société dépressive, ibidem, p. 12.
13 Puisque Paul Claudel s’est converti au Christianisme en lisant ce héros de la pré génitalité !
14 L’auteur d’Emile devrait pourtant bénéficier d’une indulgence à un titre au moins : il est contre la masturbation !
15 Cf. ANATRELLA (T.), Non à la société dépressive, opus cité, p. 49.
16 C’est la faute aux pédagogues soutenus par Madame Dolto, sans parler des innombrables pseudo thérapeutes et autres praticiens désorientés (devant ces « adolescents baudelairiens ») que dénonce à plaisir Monseigneur Anatrella.
17 Injustement décrié ici, le narcissisme secondaire est constitutif selon Freud de cet « Idéal du Moi » par ailleurs porté aux nues par T. Anatrella.
18 Cf. la conférence de Mgr Anatrella, intitulée : « Quelle place pour les homosexuels dans l’Eglise ? » prononcée en décembre 2005 à l’Eglise Saint-Severin.
19 Conduite, faut-il le rappeler, par des jeunes gens bien élevés : Lyautey, etc…
20 Ni d’ailleurs la psychanalyse avec le huis clos de leurs propres rêves…
21 Sans parler du divorce et bien sûr de l’avortement des plus vieux d’entre eux !
22 Cf. ANATRELLA (T.), Non à la société dépressive, opus cité, p. 92.