Quelle révolte rampante s’exprime sous la forme du doute – voire plus violemment – alors que le nouveau confinement bénéficie d’un amoncellement de justifications sous la forme de chiffres et de discours supposés mobilisateurs ?
Ne pourrait-on penser que le seul horizon proposé en termes de « malades, mourants, morts », ne fait que développer l’angoisse ? Imagine-t-on en effet qu’on puisse conduire une vraie guerre en informant jour après jour les combattants du nombre de pertes ?
Or, cette démarche, directement conduite par le « Comité scientifique », n’appelle-t-elle pas elle-même bien des réserves ? Dans son principe, le Politique – quand bien même il doit prendre en compte la situation de la Santé publique – n’est-il pas le seul habilité, tant symboliquement que pratiquement à prendre des décisions sur un sujet irréductible à sa seule dimension médicale ? Cet « abandon » du Pouvoir représentatif, déjà lui-même remis en cause à bien d’autres titres, ne saurait rassurer ; et cela d’autant moins que sa nature technocratique de plus en plus évidente entretient le sentiment qu’il a perdu le contact avec bien des réalités.
A travers ces évolutions, une véritable crise idéologique gagne peu à peu la France et elle est sans doute plus grave, à terme, que l’épidémie en cours. Tout se passe en effet comme si, dans l’incertitude où se trouve la Science elle-même, sa place au niveau décisionnaire relevait en effet d’un « appel » d’une autre nature. La Santé, présentée ainsi vis-à-vis des autres réalités comme une sorte de bien absolu devient une valeur suprême. Elle justifie en particulier la suspension de plusieurs libertés essentielles, ou à tout le moins leur limitation (l’Egalité et la Fraternité n’étant d’ailleurs même plus à l’ordre du jour), sans parler de la mise en danger socio-économique et évidemment psychologique de bien des citoyens. Certes, cette quasi « religion » qui ne dit pas son nom, met le corps et sa survie là où l’on a longtemps mis l’âme, le salut de l’un comme de l’autre exigeant des sacrifices. A travers ces bienveillants projets, on ne peut pas ne pas s’interroger sur la nature des sentiments qui animent les nouveaux « sauveurs » du Peuple. Comment en effet, non seulement oublier ce contre quoi la Révolution française s’est en son temps levée, ou, plus près de nous, la « mission » que s’octroya le gouvernement de Vichy ? Sauver les gens contre eux-mêmes, fût-ce en les conviant à se soumettre à la loi de l’ennemi pour sauver, et leur peau et leur âme, fut payé au prix que l’on sait : bien des peaux trouées de balles et combien d’ « âmes » soumises à la Peur, y laissant pour longtemps cette confiance en soi à défaut de laquelle la passivité redevient vite soumission.
Aujourd’hui, combien aurons-nous de « morts » causées par le vrai virus qu’est la Peur organisée par le pouvoir en place ? Une tranche significative de la population – parmi les jeunes et quelques très vieux (comme moi) – se pose la question. Face à une élite aussi arrogante qu’ignorante de la « vraie vie », un peuple infantilisé ne réclame une protection quasi parentale qu’en méprisant ceux qui l’y poussent. La République en est atteinte. On sent confusément, voire de plus en plus clairement, que la réduction médico-politique du « survivre à tout prix » est un arrangement avec la vraie Défaite, telle que celle que prépara en son temps les tristement célèbres « Accords de Munich ».
On n’échappe pas à la guerre – la vraie – en ne voulant pas la voir, ni même en la déplaçant sur des ennemis qui ne sont pas hélas, les plus dangereux (et dont d’ailleurs on n’a jamais pris les mesures hospitalières préventives nécessaires à leur traitement). Une République toujours fragile, telle qu’on l’a vue il y a 80 ans, devrait encore une fois se mobiliser vis-à-vis de ce qui menace ses vraies valeurs. Les rêves de « bonne santé plus ou moins éternelle – constituent, avec ceux de la Consommation réparatrice le nouvel « opium du peuple », d’une culture et d’une société menacées de bien des côtés à la fois.
En d’autres termes, on peut penser que le doute – et la colère – qui s’emparent des Français vis-à-vis du traitement médico-politique de l’épidémie viennent d’un malaise à la fois plus vaste et plus profond que celui qu’on s’efforce de réduire à « l’espérance de vie », sauf à entendre celle-ci dans son acception la plus large. Avoir confiance dans ses propres forces – y compris dans celles d’un Pouvoir représentatif – est autre chose qu’obéir à des règles. Les combattants ne mobilisent leur courage que s’ils croient à la cause qu’ils défendent et à l’engagement de leurs chefs. La gestion technocratique des incidents comme des accidents d’un parcours républicain, non seulement ne crée pas la force qu’il requiert, mais elle la réduit. De ce point de vue, le mépris, hélas très médical ! des conditions psychologiques de la lutte contre la vraie maladie, ne fait qu’entériner l’étroitesse de vue et la faiblesse de trop de nos responsables politiques.
Jean-Pierre Bigeault
3 novembre 2020