Histoire de concept

Pour avoir créé il y a près de cinquante ans un « institut psychopédagogique » dont le projet éducatif avait pour ambition de réinsérer des adolescents en difficulté, saurais-je dire ce que fut, voir ce qu’est la psychopédagogie ?

Un concept « a » une histoire mais il est historique aussi d’ « être » une histoire. Son invention procède de la nécessité d’un Réel qui sollicite la pensée à travers une réponse active. La question à laquelle il fallait répondre activement était à peu près la suivante : quand la pédagogie échouait, quand les rééducations dites instrumentales ne réparaient que les morceaux d’un sujet dont le rapiéçage ne faisait que confirmer le morcellement, quand la psycho thérapie – qui faisait peur à tout le monde – hérissait davantage encore les adolescents en raison de son aspect intrusif, que pouvions nous faire ? Sans doute « bricoler » sur les zones frontalières de ces approches plus ou moins éducatives, plus ou moins spécialisées, rapprocher, réunir les points de vue, les procédures, les personnes – la personne elle-même si vite fragmentée – telle fut notre modeste idée !

La psychopédagogie, alliance symbolique, signait une ouverture de la pédagogie de référence à son propre environnement conceptuel : l’éducation « à et par la connaissance », l’éducation du sujet « à et par l’objet » dans sa différence, pédagogie du lien à l’autre déjà liée elle-même à son double plus ou moins spéculaire dénommé « psycho », toute la malice du trait d’union fondu visant à faire disparaître par enchantement le conflit du couple.

L’institut psychopédagogique fut donc lui-même une combinaison de couples conceptuels au milieu desquels le conscient et l’inconscient ne faisaient qu’apparaître-disparaître, omniprésents et discrets. La machinerie institutionnelle était celle d’un théâtre où les disciplines, les méthodes, les choses et les personnes jouaient au double jeu de la vérité et de sa représentation.

Un concept naît sans doute comme naît en alchimie, voire en chimie, un corps déjà un peu transcendentalisé par nos fantasmes. La Psychopédagogie fut un mariage de raison après coup. En éducation le désir qui a tellement peur de lui-même fonctionne comme le noyau caché d’une vaste réaction moralo-intellectuelle dont nous tirons nos systèmes et nos institutions.

L’institut fut un internat psychopédagogique, c’est à dire un lieu d’intériorité partagée où des liens tantôt défaits, tantôt noués sur eux-mêmes, tantôt emmêlés jusqu’à la confusion se retissaient non sans bien des déchirures.

Le danger d’un concept désiré est encore le gage de sa jeunesse.

 

Jean-Pierre Bigeault
In Les Cahiers de L’EFPP – N°1 – p.3 – Février 2004