Comme le corps de l’enfant innocent doit être tenu à distance de son éducateur potentiellement pervers, celui du présumé délinquant et a fortiori celui du détenu, méritent d’être entassés avec leurs semblables et livrés à la promiscuité carcérale, sans autre forme de procès !
Aux deux bouts de la chaîne supposée éducative, le corps est soumis à la violence sécuritaire.
Qu’il s’agisse en effet de protéger l’enfant de la pédophilie ou la société de la criminalité, le corps, qu’il soit soustrait à la relation dans le même temps où l’éducation implique que l’éducateur et l’éduqué se rencontrent – ou qu’il soit ajouté à d’autres corps dans l’indifférenciation d’un « lot » qui exclue l’idée même de relation entre des personnes, le corps est l’objet d’un déni qui réduit sa réalité à celle d’un fantôme.
Si l’on ajoute à ces pratiques le traitement technico-scientifique de la mort, on ne s’étonnera pas que l’image de la Pieta se soit effacée de notre horizon culturel, comme si un soupçon rôdait autour d’une tendresse réputée sans objet.
Tout se passe comme si, de la naissance à la mort, le corps rappelait à notre société post moderne que sa rationalité productive lui cache quelque chose. Le désir, sollicité partout où il s’oublie lui-même dans ses objets, fait peur, dès lors qu’il révèle à l’homme sa finitude et aussi son aspiration à l’illimité.
« Ouvrir les yeux » sur notre réalité, et espérer « à corps perdu », disent avec les mots que la pensée la plus lucide comme la plus aventureuse passe bien par le corps, que nos le voulions ou non !
Et si possible de ses camarades eux-mêmes.
Pour reprendre le mot relevé dans une « offre technique » adressée par une respectable association à ses financeurs : « L’association X se porte candidate pour 2 lots (soit 100 personnes) à l’appel d’offre de la ville de Paris »
Jean-Pierre Bigeault, psychanalyste,
In Les Cahiers de l’EFPP – N°8 – p.3 – Décembre 2008