Les récentes « recommandations » de l’H.A.S. (Haute autorité de santé) sur la prise en charge des enfants et des adolescents souffrant de troubles envahissants du développement (TEC) s’inscrivent, qu’on le veuille ou non, dans un conflit et un débat qui dépassent les enjeux du traitement de l’autisme.
À un premier niveau en effet, l’appel des associations de parents à une prise en charge digne de ce nom (c’est-à-dire qui dispose des moyens aujourd’hui existants et qui fasse appel de ce fait à l’éducation et à la pédagogie) est enfin entendu par une instance qui a pignon sur rue.
Il reste toutefois, comme en sont conscientes les mêmes associations, à mettre concrètement en œuvre des mesures dont l’insuffisance actuelle ne provient pas toujours, loin s’en faut, d’une emprise totalitaire de la psychanalyse sur l’autisme, même si le dogmatisme de quelques-uns a pu encourager à cet égard une inertie indéniable. Si l’autisme en effet a pu être déclaré, en 2012, « cause nationale », il s’en faut pourtant que l’éducation et la pédagogie – à leur niveau déjà le plus courant – fassent l’objet d’une véritable considération tant des politiques (plus soucieux de conserver que de rénover, comme d’ailleurs une opinion publique mal éclairée sur le sujet) que des « élites » (purs produits d’un système qui leur est favorable), sans parler des psychiatres eux-mêmes, voire – comme on l’a vu au-delà du délire de toute puissance de certains – de psychanalystes au demeurant réputés très ouverts. Ce n’est donc pas un hasard – ni une anecdote de l’histoire psychanalytique – si l’autisme n’a pu jusqu’ici bénéficier d’une créativité pédagogique dont tout le monde (ou presque) se méfie, ce qui nous a valu de persévérer avec un égal succès depuis plus de cinquante ans dans l’institution de « l’échec scolaire ».
Faut-il espérer que, débarrassée de « méthodes qui n’ont fait la preuve ni de leur efficacité ni de leur absence d’efficacité » (selon les mots du président du Collège de la H.A.S. cités par Libération le 9 mars 2012), la prise en charge éducative de l’autisme donne à tout le moins l’occasion de relancer un débat sur l’éducation, débat interrompu depuis la condamnation sans appel non seulement de Mai 68 mais des sciences de l’éducation renvoyées dans leurs foyers respectifs ?
Cependant, il existe – parallèlement à cette question de l’éducation – un deuxième niveau du débat et du conflit dont la question de l’autisme est le prétexte.
Lorsqu’en effet le même président du Collège de la H.A.S. déclare que la « psychiatrie doit se plier aux règles de la médecine par preuves1 », on voit bien ce dont souffre à ses yeux dans son essence la psychanalyse.
À supposer pourtant que la médecine – qui fait ici référence – soit une science aussi exacte que la chimie à laquelle elle a couramment recours, à supposer que ses résultats constituent des preuves (alors même que l’effet placebo mis en évidence expérimentalement vient pour le moins compliquer le jeu), à supposer que les effets obtenus par un traitement satisfassent, au-delà de la réussite attendue, à un critère plus large et moins difficile à définir tel que « le mieux-être » de la personne traitée, on n’en doit pas moins se demander si la psychanalyse, qui s’est évertuée depuis Freud à se qualifier scientifiquement, ne situe pas ses ambitions et ses moyens ailleurs en effet que là où les situe une « simple » science. La violence dont, forts d’une théorie à bien des égards plus rigide que celle de Freud, ont fait usage certains psychanalystes n’a certes fait que brouiller les cartes. Mais les lieux de soins où la psychanalyse s’est appliquée avec bonheur à la prise en charge des troubles du comportement non seulement n’ont pas tourné le dos à la démarche éducative, mais au titre même de la psychanalyse l’ont soutenue, lui donnant un sens plus large que celui des techniques employées. La cohérence des actions déployées n’a fait qu’en augmenter l’efficacité, bénéficiant ainsi non seulement aux éducateurs et aux soignants, mais aux enfants et à leurs familles2.
Si incertaines que restent les hypothèses tendant à justifier des démarches dont les limites n’attendent pas les preuves de leur efficacité pour en compliquer la mise en œuvre, ces paris de l’intelligence contribuent à dynamiser les acteurs d’un travail éducatif, rééducatif ou thérapeutique inévitablement difficile.
Enfin, à en juger par la déshumanisation progressive de l’hôpital (qui ne tient pas qu’à une diminution de moyens pratiques, mais à une culture de plus en plus exclusive qui est celle du résultat), on peut espérer que les institutions appelées à recevoir les autistes échappent à un néoscientisme qui peut se nourrir des mêmes fantasmes que ceux des psychanalystes « mal traitants pour la bonne cause ! ». Une violence peut en chasser une autre dans un monde en proie à plusieurs crises. Le recours aux boucs émissaires et aux nouveaux magiciens guette.
Les techniques ne font pas des miracles et les progrès les plus mesurables ne font souvent que cacher la misère qui n’est pas réductible à l’évidence de ses symptômes.
1 C’est nous qui soulignons.
2 Cf. l’article de Marie-Noëlle Clément, médecin psychiatre, directrice de l’hôpital de jour du Cerep, Le Monde 7 mars 2012.
Jean-Pierre Bigeault, psychanalyste,
ancien directeur du Centre de réadaptation psychothérapique (Cerep)
et membre du Conseil scientifique de l’EFPP