Le ton du débat – si tant est d’ailleurs qu’il s’agisse d’un débat – autour de « la violence faite aux femmes » par les hommes, en particulier dans le contexte de la sexualité, n’engage guère les hommes, dont je suis, à prendre la parole. Là où la loi se suffit pas, je doute que la dénonciation tous azimuts règle le problème posé dans un domaine aussi vaste que celui des relations (sexuelles) entre homme et femme. Je crains même que le « bruit » ne se perde comme tant d’autres dans le monde saturé de l’information et ne serve de caution à l’inertie d’un système qui se nourrit lui-même de ses excès. Et surtout je déplore que l’un des aspects fondamentaux du problème posé ne soulève pas la question – à mes yeux fondamentale – de l’éducation. Car ce ne sont ni les manifestes, ni même les lois (déjà existantes), ni les leçons de morale formelle, qui apportent un début de solution au problème posé.
La violence, qu’elle soit sexuelle ou non, qu’elle s’adresse aux femmes ou aux enfants ou d’ailleurs aux hommes, posait déjà la question aux Grecs de l’antiquité et les termes de sa gestion sinon de son élimination ne semblent guère avoir changé : il paraît en effet vraisemblable que le seul espoir d’aider les hommes (et d’ailleurs les femmes) à modérer les effets de leurs pulsions – comme le professait Montaigne avec lucidité – soit de les éduquer. Or l’éducation dont on nous parle tous les jours se glorifie – avec le consentement de ses usagers – de se réduire aujourd’hui plus que jamais à l’instruction. L’éducation s’occupe essentiellement de transmettre des savoirs mais non d’apprendre à vivre. On veut donc croire que quelques bonnes leçons d’éducation sexuelle régleront les problèmes – dont ceux ici posés. Et on veut espérer que l’autorité, restaurée sur le modèle de la bonne et vieille discipline fera le reste.
Mais n’est-il pas temps de revoir cette copie usée jusqu’à la trame ? Ne faut-il pas plutôt imaginer une révolution éducative qui permette de faire vivre aux enfants et aux adolescents autre chose qu’une reprise à l’identique du monde dont on prétend les protéger non seulement au titre de l’ignorance mais à celui de la violence – dont précisément celle dont nous parlons.
Or quels parents – y compris parmi ceux qui protestent contre la violence du monde (et donc bien sûr celle faite aux femmes) sont-ils prêts à soutenir une telle révolution éducative ? Quels parents sont-ils disposés à prendre le risque de sacrifier tant soit peu le plaisir de la concurrence et celui de la réussite (au sens le plus restrictif du mot) à l’apprentissage par les enfants et les adolescents d’une vie sociale fondée sur le partage ?
La mixité des classes en ce sens ne se suffit pas à elle-même. S’agit-il encore d’y apprendre à vivre les différences dans ce qui permet à la fois de les reconnaître et de les dépasser ! Et à cet égard ce qui revient au sexe ne saurait dissimuler tout ce qui s’y ajoute de par les idiosyncrasies culturelles ou individuelles. On ne saurait en effet penser la violence faite aux filles et aux femmes sans y associer toutes les autres.
Au coeur du débat la violence d’une société post-moderne, qui s’en croyait à l’abri du fait de ses « progrès », prend, à travers celle dont les femmes sont encore et toujours les victimes, un sens beaucoup plus large : bien des hommes mis en cause sont aussi les produits – et parfois, dit-on, « les meilleurs » – d’une culture de la puissance aussi séductrice que dévastatrice. Ces « modèles » sont largement salués pour ce qu’il est convenu d’appeler leurs « performances ». La « toute puissance phallique » reste au coeur de la vie quotidienne tant de l’élite que du bon peuple républicain.
Comme la pédophilie des prêtres l’érotomanie des vainqueurs sociaux devrait en effet nous interroger sur nos choix : cessons de nous fabriquer de faux héros (cf. mon texte Des héros) et prenons les moyens de devenir un peuple qui veut mûrir.
Jean-Pierre BIGEAULT
Janvier 2018