ACTUALITÉ

Les « meilleurs » sont-ils les « bons » ?

La crise politique actuelle, si elle est d’abord sociale, voire culturelle, n’est pas qu’un accident de parcours. Elle dit ce qui n’est pas dit, ou en tout cas mal compris – voire exploité aux seules fins partisanes, par les représentants du Peuple, à commencer par le Président de la République lui-même.

Cette crise en effet vient de plus loin que l’évènement qui la provoque et la justifie. Mal faite à bien des égards, conduite de façon autoritaire, la réforme des retraites est le verre grossissant à travers lequel se donne à voir, fonctionnant comme une Machine, un gouvernement qui « gère ».

Comment ne pas voir aujourd’hui que le Pouvoir est encore plus incapable que ses prédécesseurs d’exposer une pensée qu’il n’a pas et donc de donner un sens aux réformes qu’il entend conduire ? Faut-il ajouter à cette déficience l’image récente et combien significative d’un « dysfonctionnement » qui aura sapé – au-delà de la conscience qu’on en a eue – la confiance profonde des personnes dans le respect des liens hautement symboliques qui les attachent à leurs morts ? le traitement hospitalier des mourants et de leurs cadavres n’a-t-il pas montré que la sécurité des survivants devait l’emporter sur tout autre malheur ? Confusion éthique s’il en est : la grande peur, orchestrée à souhait, aura dons justifié cette déshumanisation réputée utile. L’utilité ne révèle-t-elle pas ici ce qu’elle cache : le Peuple est une collection d’individus pareils à des choses et rien de plus.

L’implicite trahit dès lors ce que, pour désigner aujourd’hui le monde politique, on appelle le « Système ». L’humanité réelle a en effet déserté la pauvre pensée d’un Pouvoir dont l’intelligence n’est guère plus que celle d’une mécanique sans âme.

Qu’est donc devenue notre République, identifiée aujourd’hui à la technocratie qui sévit déjà dans les entreprises aux fins que l’on sait. Elle fonctionne et tente de produire. Nos « valeurs » foulées au pied n’ont pas cours et cela depuis longtemps. Elle reprend sans le dire, et peut-être sans le savoir, le principe d’une administration qui a vu le jour sous Vichy. Et n’est-ce pas encore une fois la fausse parade à cette forme d’« Occupation » qui s’appelle aujourd’hui « l’économisme », c’est-à-dire le « financiarisme », paré, comme la Concurrence, des vertus de sa perversion.

Sur cette Machine, règnent, comme aux pires moments de la « Défaite » et de « l’Etat français », les Cerveaux de ce qui contribue aujourd’hui à distinguer notre « élite » du reste des « mortels ». Cela ne sent-il pas, quoi qu’on en dise, l’Ancien Régime, puisqu’une classe sociale s’est effectivement réservé cette chance ?

Le mot est dit : une classe élue par le mérite intellectuel dirige, par-delà les représentants du Peuple, saintes-n’y-touche ou braillards de services, un Etat français dont tout le monde sait qu’il est démocratique puisque son Président parle … aux travailleurs ! L’intelligence de nos meilleurs élèves est donc au pouvoir, fût-ce dans la pénombre des appareils à conseiller l’entreprise France. Que les résultats soient médiocres et que cela vienne de notre origine « gauloise » (comme il a été dit), ne saurait mettre en cause que la mauvaise volonté ou la bêtise du peuple, car l’intelligence des « meilleurs » – sélectionnés comme il se doit – ne saurait être suspecte.

Et pourtant …

Et pourtant qui oserait dire que nos meilleurs élèves savent ce que vaut un être humain qui n’a même pas été capable de se présenter aux « Grands Concours » ? Qui se souvient qu’à l’époque florissante des grandes filatures du Nord, les héritiers des entreprises devaient apprendre l’humanité des hommes en commençant par travailler avec eux au bas de l’échelle ?

Réformer l’ENA ? Ou repenser cette vision de l’excellence où les véritables valeurs humaines s’écrasent devant les performances de l’intelligence. Comment former, non pas seulement des cerveaux, mais des hommes ? L’Ecole française, à la fois plus que médiocre et championne en fabrique de cerveaux-machines sera-t-elle un jour repensée au point que le fameux « science sans conscience … » du début des Temps modernes soit enfin appliqué, non seulement à l’instruction, mais à l’éducation de tous ? Ecole laïque comme école dite libre ont sacrifié l’égalité des chances aux modèles communs d’une intelligence bien dressée et productive, les valeurs morales au besoin (laïques ou religieuses) ne s’y ajoutant que pour servir de faire-valoir à un reste d’âme.

Si l’éducation – aujourd’hui réduite aux acquis scolaires – ne fait pas le choix de former tous les citoyens au développement d’une capacité humaine irréductible au traitement des équations, la démocratie s’effacera comme elle le fait déjà, devant le pouvoir d’une « intelligence artificielle » télécommandée par le progrès (narcissique et ou financier) dont rêvent nos élites.

Une révolution éducative digne de ce nom a déjà résisté (pendant combien de dizaines d’années ?) aux Symposium de l’Éducation nationale sur « l’échec scolaire » où j’ai été invité en tant que psychopédagogue et psychanalyste. La résistance au changement ne creuse-t-elle pas le tombeau de notre République en danger ? Réformer pour ne rien changer, aller de l’avant pour conserver, mensonges ! Et si l’intelligence se moquait de l’esprit quand elle fonctionne à vide, c’est-à-dire sans le cœur ou la simple sensibilité à ce qui est humain ?

Mais parle-t-on de corde dans la maison d’un pendu ?

L’intelligence n’a pas besoin d’être devenue « artificielle » pour se moquer de l’Homme en tant qu’il s’applique à n’être pas qu’une machine. En sacrifiant notre pensée à l’agilité des savoirs trop appris, nous serons les dindons de la farce !

Jean-Pierre Bigeault
Avril 2023

De l’Arche à l’Eglise

et de l’Eglise à l’Arche

Quelle « secte » à l’abri de l’Arche, ou comment une association reconnue – voire consacrée – finit-elle à la fois malgré elle et dans le prolongement pervers d’une idée, voire idéal, par prendre le chemin de « l’emprise » et de « l’abus » ?

La question doit être posée à l’Eglise elle-même. Ne parle-t-elle pas d’une « Peste »1 qui ne serait pas la sienne, alors même que se découvre aujourd’hui le scandale d’une pédo criminalité qui ne tombe pas du ciel et qui pourtant le rejoint ?2

C’est que le « mal » est au cœur du Système. Ce qui arrive à l’Arche n’est en effet que le symptôme d’une maladie qui la dépasse et dans laquelle l’Eglise s’est enfermée depuis longtemps. Le Pouvoir spirituel – fût-il dégagé, comme aujourd’hui, du pouvoir temporel – y est à l’œuvre selon le modèle assumé d’une « toute-puissance » d’origine divine. Le dogme en fait foi. Faut-il donc s’étonner que le  « culte » lui-même (voire la culture qui le soutient) fondé sur un absolutisme, ouvre la porte aux « abus » dont cette Eglise est depuis longtemps le théâtre ?

Est-il besoin d’être grand clerc – voire psychanalyste – pour pointer, ne serait-ce que dans le fétichisme de bien des pratiques, la ritualisation d’une perversion larvée ? L’auréole d’une esthétique, empruntée à l’art (et dont s’éclairent les lieux saints et les cérémonies) n’y change rien. La théâtralité du culte tend à faire passer le « sacrifice » non seulement pour un appel à la grâce, mais pour la grâce elle-même, figure ambigüe de la Mort devenue Vie.

Ces mélanges en appellent d’autres où le mysticisme se fait aussi bien l’agent du Diable. C’est que la perversion guette en effet les apôtres d’une sexualité réduite à l’engendrement. A se détourner de la vraie vie et du désir ouvert que porte en elle la sexualité humaine – fondatrice de l’amour – l’Eglise mord la queue de son goupillon et il ne lui reste plus qu’à bénir des morts qui, comme des fantômes, se vengent des vivants. Sanctuarisée, la génitalité détourne de l’ensemble qui la porte ; elle ne fait que renvoyer la sexualité à la fonction réduite d’une animalité par ailleurs désavouée – et c’est ainsi que la perversion s’arme de la vertu pour en faire le lit du vice.

La tête – sinon le cœur de l’Arche – aura été ainsi le lieu d’un « sacrifice » retourné contre lui-même en sacrement pervers : la « messe noire » y a été dite. Et de ne pas avoir nommé et dénoncé les faits comme et quand il le fallait, ceux qui les ont connus en ont été les complices. N’est-ce pas la preuve que le Sexe, regardé de haut, reste aussi bien le ressort d’une maladie qui se cache derrière les robes de ceux qu’elle atteint comme derrière la façade ambiguë de leur Palais romain ? Comme une sorte de sexe, tout à la fois châtré et en majesté, le Dieu caché a, depuis longtemps, quitté sa grotte et il ne regarde plus la misère du monde que du haut de son symbole. Erectile et ventrue, la gloire des Pères a supplanté l’enfant et le fils. Elle n’est qu’une machine auto érotique qui attire les mécaniciens de la Pureté. L’amour, ce grand mot, s’il porte quelques « appelés » jusqu’à Rome, ne fait-il pas de ces hommes des princes qui portent la croix sur la colline la plus inspirée du monde ? L’ascension divine les inspire et elle prend déjà la forme cachée d’une élation sexuelle.

Ainsi, tout récemment, un psychanalyste chrétien3 a-t-il atteint ce sommet, alors même que sa pensée s’épandait en flaques, et qu’il était accusé d’avoir abusé de ses patients. Faut-il s’étonner que l’aveuglement du Saint Siège obéisse à d’autres intérêts que ceux de la vérité, quand il prend le sexe par le « bon côté » de sa réduction ?

Il est donc bien temps que la considération politique et culturelle dont la Sainte Eglise est l’objet déserte son champ de ruines, sexualisé à souhait. Le mensonge institutionnel existe et, si le message du Christ a encore quelque chance d’être entendu aujourd’hui dans le vacarme matérialiste que l’on sait, il faut en appeler à d’autres voix : à des hommes et des femmes qui vivent la vraie vie et n’assument aucun pouvoir, fût-il spirituel.

Les scandales répétés de la pédophilie et autres abus ne sont que la partie visible d’un corps et d’un esprit malades. La « Secte » est là, dans son essence. Elle est faite précisément de cette « coupure » dont elle tire son pouvoir comme d’un sacrifice exemplaire. La figure christique y est devenue l’arme d’un crime contre la vie, alors même que le message évangélique s’en est fait le défenseur. La vie du « Fils de l’Homme » n’est pas hors de la vie, ni l’amour hors du corps (promis à la Résurrection). Une vision sectaire cache depuis trop longtemps, sous le masque de la charité, une haine doucereuse et mortifère qui n’est que la face obscure d’une sexualité aussi omniprésente que répudiée.

L’Eglise n’ayant pas le monopole de la vérité « spirituelle », il reste à réinventer un rapport à la vie qui en fasse le but et le moyen d’une « humanisation » de l’Homme à partir de ses propres forces et non par la magie de pouvoirs empruntés. Il arrive toujours un moment où la Transcendance s’abîme dans le gouffre de son rêve, comme, ni plus ni moins la matière usée, dans son trou noir.

Sans doute peut-on penser qu’après une longue enfance, l’adolescence de ceux et celles qui cherchent aujourd’hui un sens à la vie doit repenser ses idéaux. La sexualité qui reste la pierre sur laquelle est bâti l’amour mérite mieux que le sacrement détourné par les faux anges de service : le sacré reste l’affaire des humains. C’est à eux de le ré inventer hors des sentiers battus.

Jean-Pierre Bigeault,

Ce 7 février 2023

1- Une Peste en effet, comme celle qui menaça la royauté d’Œdipe, coupable d’avoir couché avec sa mère comme le Jésus des abuseurs de l’Arche avec la Vierge, puisque tel fut leur fantasme.
2- Ne s’est-il pas agi, à travers les prêtres impliqués, d’un abus de pouvoir lié à leur fonction ?
3- Tony Anatrella, par ailleurs prêtre catholique, et auteur paraphraseur d’une théorie psychanalytique adaptée aux besoins de la cause …

BONNE ANNEE !

J’apprends que les « Tirailleurs Sénégalais » – âgés d’au moins 90 ans pour ceux qui ont survécu – vont pouvoir rejoindre leur pays tout en continuant de toucher leur pension. Cette nouvelle nous est donnée par France Info ce jour sans commentaire.

Cela me rappelle qu’une conseillère de Jospin à Matignon m’expliquait en son temps qu’elle allait donner « 100 balles » aux Harkis pour avoir la paix.

France, fidèle à quelles valeurs, à quels engagements ? Qui s’en émeut ?

Faut-il chercher plus loin si le peuple français doute aujourd’hui de ses représentants politiques, si ce n’est de la République elle-même ? Est-ce donc là ce « complotisme » dont les bonnes âmes de service ont pointé, à partir du Covid, l’émergence obscurantiste ?

L’écœurement sous la colère, la complicité objective des informateurs poltrons ou inconscients qui servent les nouvelles sans se risquer au jugement compromettant, qui dit mieux ?

Souvenons-nous d’un article du Monde, décrivant le sort des morts du Covid et de leurs familles quant on les traitait comme de simples « encombrants ».  Aucun jugement dans cet article ! Combien de temps aura-t-il d’ailleurs fallu pour qu’on revienne sur des faits qui – au prétexte de la sécurité – ont montré le déni concret des valeurs fondamentales sur lesquelles repose l’Humanité.

Certes il y a la misère matérielle qu’on s’efforce de nous cacher en nous assurant que l’inflation va disparaître, s’en va déjà – ce qui est faux – mais une misère morale s’y ajoute, dont la responsabilité repose, non seulement sur la classe politique, mais une « élite » qui, de toutes façons tire les marrons du feu.

Nous sommes tous des « Juifs allemands » disait en son temps Daniel Cohn Bendit, et aujourd’hui nous sommes tous des « Tirailleurs Sénégalais », tout juste bons pour aller mourir chez soi en continuant de toucher sa retraite … d’ancien combattant !

De qui se moque-t-on ?

Dans un autre genre, le penseur de droite et de gauche Jacques Julliard, défenseur de l’Ecole dont il a bénéficié en devenant agrégé d’Histoire, se met à prôner le « dépassement de l’individualisme scolaire » et il parle « d’équipe ». Cet ennemi déclaré du « pédagogisme » va-t-il en appeler à Célestin Freinet ? Une pleine page dans Le Figaro, qui dit mieux ? Cette révolution en « chambre haute » ressemble à une farce. En appeler à la collaboration des bons élèves entre eux, n’est-ce pas l’avenir du présent reconduit ?

Quant à nous, poètes modeste modestes mais obstinés, nous essayons de soutenir la vérité créative qui aide à vivre quand le monde s’enferme peu à peu dans la répétition de ses simulacres, c’est notre espérance.

Et bonne année à tous !

Jean-Pierre Bigeault,
Ce 4 janvier 2023

L’autre monde

« L'autre monde »? Et s'il était ici, juste à la fin de celui que nous appelons pompeusement notre « moi », là où commence « l'autre », cet étranger dont nous partageons l'intimité comme de « personne »? Oui ! personne est quelqu'un, ou mourir dans le vivre, selon cette frontière invisible que chaque jour et chaque instant nous franchissons de notre pas d'enfant.
Editions l'Harmattan, Paris - Août 2022


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Présentation du livre le 3 décembre 2022, aux Editions L'Harmattan

Captation Benoît Maréchal - Montage Dominique Morlotti

De la guerre

Qu’après cette « guerre1 à l’épidémie » qui nous a valu : conseil de défense, confinement, couvre-feu et décompte quotidien des victimes, surgisse la vraie guerre (celle d’Ukraine), comme l’original après la copie, cela pourrait donner à penser que les mots sont trompeurs.

Sans doute avions-nous besoin de nous faire à l’idée de notre fragilité dans un monde et un pays qui, n’ayant plus comme horizon que l’Economie, se divise et se perd dans une paix de façade. Certes, il y a guerre et guerre. On aura voulu exorciser la menace d’une conflagration plus dangereuse en chargeant le virus (comme autrefois la Peste) d’en épuiser le Mal. Et, n’est-il pas vrai que le mal de la guerre renvoie l’homme à beaucoup plus que sa vulnérabilité ? La guerre le montre sous son visage éventuellement le plus héroïque ou le plus lâche.

Mais la culture de la Peur, diffusée à l’occasion de l’Epidémie, aura surtout révélé que l’espoir de survie l’emportait sur tout, ce qui, en cas de guerre, conduit à la Défaite. Que la vie ne soit pas une valeur absolue, ni donc la Santé, élevée au-dessus de ce que les anciens appelaient la vertu, c’est-à-dire le courage, reste à apprendre. Qu’on ait moralisé sur le thème des « antivax fauteurs de guerre » n’aura certainement pas démontré que le souci des autres l’emportait chez les présumés bons citoyens.

La guerre qui invite au partage, à l’union fraternelle, a déjà montré sous l’Occupation le triste jeu, non seulement des collaborateurs, mais des confinés du repli sur soi. La « Résistance », sous quelque forme que ce soit, oppose à la passivité de la défense dite d’ailleurs passive, la force trans individuelle dont on ne peut guère dire que la lutte contre l’Epidémie ait véritablement contribué à la développer.

Il reste donc beaucoup à faire pour sortir vainqueur d’une paix qui efface la guerre en la déplaçant sur des accidents de parcours. Et si notre force nous était rendue par les vaccins et les traitements qui s’attachent à développer en nous les ressources du cœur, voire celles de l’âme au sens le plus large du mot ? Cela s’est vu lors de la dernière guerre quand se levèrent les voix … des poètes. Sous les bombes en Normandie lors du débarquement, pour ma part, et en camp de concentration pour l’un de mes amis, tel fut parfois notre recours.

Au-delà de la protection défensive, la Beauté comme exigence et délivrance – on dit aussi la Culture – quand on ne la traite pas comme l’Economie lorsqu’elle est russe – mérite en tous cas et toujours notre respect.

Lermontov et René Char sont de saison !

Jean-Pierre Bigeault
19 mars 2022


1 Déclarée en son temps par le Président Macron.

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