A PROPOS DU FILM « FOU D’AMOUR »

Bien qu’il ait été associé, tant par la radio et par la presse, à l’affaire dite du « curé d’Uruffe » – ce crime qui défraya la chronique en son temps (1956) parce qu’il avait été commis par un prêtre – le film de Philippe Ramos, Fou d’amour, ne fait qu’évoquer de très loin une réalité qui fut et reste encore difficile à appréhender, et qui relève d’une tragédie irréductible à un « fait divers ». On peut regretter que le réalisateur ait traité un tel sujet en le déplaçant dans un cadre qui en gomme la dramatique aspérité et qu’il l’ait ainsi réduit à une sorte de comédie dont l’issue fatale perd alors tout son sens. Comme il est inacceptable de réduire le passage à l’acte de ce prêtre criminel à la monstruosité d’un suppôt de Satan, voire simplement à une perversion qui en signerait la caractère psychopathologique, il est impossible de ramener la sexualité que la violence extrême de ce prêtre, par ailleurs fidèle à sa foi, à un dévoiement totalement étranger à la dynamique même de son idéal.

La complexité de cette intrication dérange. Mais elle nous invite à considérer l’homme – fût-ce un prêtre – comme un tout, ses convictions et son engagement se trouvant étroitement liés à ce qui, dans sa personnalité, relève en particulier du domaine psycho-affectif. A l’heure où l’Eglise semble vouloir prendre à bras-le-corps un problème aussi grave que celui de la pédophilie, il y aurait mieux à faire qu’à le traiter lui aussi comme une déviation accidentelle : l’Idéal – fût-il religieux – met en jeu des désirs qui excèdent l’ordre habituel de nos intérêts. La formation et l’accompagnement des personnes exposées au risque de l’idéal ont suffisamment manqué au curé d’Uruffe pour qu’on se tourne aujourd’hui vers une lecture mieux informée de son crime et… qu’on en tire les conséquences.

Jean-Pierre BIGEAULT
in La Croix, 27 octobre 2015