Couvre-feu

Pauvre France !

Mourir pour la liberté, cela s’est vu, voire être blessé à vie. Des hommes et des femmes, des jeunes et des moins jeunes, soldats de la République, résistants, civils, ont été sacrifiés pour que non seulement nous survivions physiquement, mais moralement aux agressions du dehors (l’Allemagne) et du dedans (Vichy). Cette histoire – que nous enterrons sous les manifestations convenues que l’on sait – est-elle donc sortie de notre mémoire ? Et ne serait-il pas temps de méditer ce que disait Goethe en son temps : « ce que tes parents t’ont légué, conquiers-le ! »

Or voilà bien qu’aujourd’hui la vie vaut plus que la liberté.

Voilà qu’un virus justifie que l’Etat (et ses technocrates) – sinon la République – remette en cause la liberté des citoyens (qu’il se plaît d’ailleurs à apeurer) pour sauver leur peau aux dépens de leur cœur et de leur âme. Le même Etat, érigé en Protecteur tous azimuts, fait pleuvoir des indemnités d’ailleurs insuffisantes pour parer aux effets économiques de la crise. Et comme cela en effet ne saurait suffire à recréer les conditions du fameux « vivre ensemble » (évidemment mis à mal par l’épidémie) il ne manque pas de faire appel à un moralisme vieux comme Vichy sinon davantage. Une pseudo éducation du peuple par la peur ne passe-t-elle pas par la bonne et vieille culpabilisation, cet opium du peuple ?

Ainsi le supposé consensus populaire sur la Santé publique et l’Etat protecteur est-il pour une large part le produit d’une politique qui développe l’asservissement plutôt que le courage.

Le courage est en effet le signe d’une vie qui se soutient d’un idéal.

A défaut de savoir traiter le virus – et accessoirement d’y mettre les moyens techniques en restaurant l’hôpital détruit par l’Etat lui-même – celui-ci caresse le Peuple dans le sens du poil (qui est celui de la Peur orchestrée à plaisir) plutôt qu’en l’aidant à se mobiliser courageusement non seulement pour sa survie physique et matérielle mais pour son honneur (égalité, fraternité) et pour sa liberté.

On en vient à penser que le gouvernement de ce pays n’a aucune vision de la République et des véritables dangers qui la menacent et qui menacent le peuple tout entier. Il apparaît comme le petit et mauvais gestionnaire d’une entreprise (économique mais pas seulement) en perte de vitesse, sinon en faillite. Le véritable « salut public » relève à cet égard de bien autre chose que d’un « couvre-feu » qui plonge en effet le Peuple dans l’ombre et, avec lui, la Nation.

Quant aux médias – relais trop souvent de cette politique hygièno-sécuritaire – ils courent eux-mêmes après les suffrages en collant à l’évènement sans prendre cette distance critique dont s’honorait en son temps le fameux Sirius, journaliste d’un de nos plus grands quotidiens.

L’évènement, comme le virus lui-même, fascine. Il entretient à plaisir une fascination collective qui, sans craindre le ridicule, se justifie elle-même par le recours officiel à une Science …qui ne sait rien ou pas grand-chose.

Ainsi donc le couvre-feu dit bien son nom. Il dit au citoyen : « Rentre chez toi et éteins la lumière ! ». Ce qui veut dire : « Laisse tomber cette société dangereuse et arrête-toi de penser ! ». Le feu qu’il s’agit de couvrir n’est pas celui de l’épidémie. C’est celui de la vie (d’ailleurs représentée ici par les loisirs, le fameux « otium » de nos ancêtres latins). Cette vie en tant qu’elle brûle en effet non seulement dans le corps de l’homme mais dans son rêve. Faut-il le redire ? la République est un rêve. La rationalité (d’ailleurs bien approximative) de nos « gestionnaires » ne sert que des intérêts (au sens le plus restrictif du mot) et non le bonheur du Peuple. Sans l’inspiration d’une foi (laïque) en ses valeurs et leur mise en pratique (dès l’Ecole Républicaine), son pouvoir décrédibilisé passera aux mains d’une dictature qui dira son nom. Une « patrie » – osons le mot ! – « en danger » mérite mieux que des apprentis sorciers diplômés qui ne couvrent le feu que parce qu’eux-mêmes en ont peur. Et en effet les passions d’un peuple qui ne sait plus à quel saint se vouer ont un pouvoir incendiaire qu’on ne saurait sous-estimer.

PS – Se battre contre l’ennemi invisible et apolitique qu’est le Covid-19 pourrait bel et bien se présenter comme un « front de diversion ». A l’heure où l’on décapite un professeur de collège comme à celle où l’on condamne « les petits et les sans grades » d’une société injuste, la « guerre » lancée au nom de la santé publique fait oublier le pire : la barbarie des forces financières et religieuses qui, de fait, s’en prend directement à nos valeurs. Vis-à-vis de ces ennemis-là, qu’elle soit subie ou voulue, l’impuissance politique se fait le lit de plus cruelles défaites.

17-10-2020
Jean-Pierre Bigeault