Une « drôle de guerre » – pas moins de six fois déclarée1 par le Président Macron – sévit dans notre beau pays. C’est qu’un envahisseur, venu de loin, la justifie. L’ennemi est rusé, incontrôlable, et il tue. Quelle violence inouïe dans un monde à qui l’on promet tous les matins « le risque zéro », et, bientôt, la mort de la mort !
Que l’épidémie de ce fameux coronavirus soit moins meurtrière que beaucoup d’autres importe peu. Elle appelle une réponse institutionnelle digne de ce nom (plus digne assurément que l’impréparation qui l’a précédée !) et une mobilisation collective, sans armes, mais ferme sur les principes (distance règlementaire, lavage des mains, etc…)
Et en effet, face à l’ennemi, au trouble qu’il génère chez les responsables de l’Etat, aux incertitudes voire aux contradictions des experts, à la trouille d’une société biberonnée au confort et plus généralement à la sécurité, les mesures benoîtement coercitives, la suspicion voire les dénonciations d’usage, un climat digne de l’Occupation (et donc de la Défaite2) reprennent effectivement du service. Sur les marges, il est vrai, une authentique « résistance » (aussi mal vue qu’à l’époque par une certaine France asservie) s’exprime par un humour sous lequel se cache plus d’une fois une vraie colère.
C’est donc la « guerre » et l’on se bat comme l’on peut. Cela occupe un peuple déprimé voire agressif dont la violence inquiète et justifie le pouvoir. Car, à qui profite le crime ?
Voici donc qu’un Président de la République en perte de vitesse dans l’opinion s’est trouvé confronté, non seulement à l’exaspération des extrêmes mais à celle du « peuple d’en bas », voire du milieu, sans compter la méfiance des autres. Il sait que l’agressivité de toute une classe de communicants ordinaires banalise la haine. Il est donc appelé par une sorte de grâce divine à jouer, non seulement les sauveurs (rôle bien difficile, on le sait, depuis Pétain), mais le chef de guerre tant attendu puisque … le pays en effet est en guerre…en guerre – osons le mot ! – avec lui-même.
Ce Président comprend donc que la France est dans le malheur, et une bonne grande partie de son peuple le suit – fût-ce à contre cœur – sur le chemin d’une guerre qui, encore une fois, consiste … à descendre dans les abris.
Ainsi donc, voilà qu’un ancien socialiste de droite entreprend, sur le mode gaullien, de reconstruire la France (à ses yeux depuis longtemps en quasi ruine) et qui, pour l’occasion, s’identifie enfin à « son » peuple dont il partage l’angoisse. Le Roi-fantôme a cédé la place au général en tenue de combat.
Sans doute convient-il d’ajouter ici que ce schéma, fondé sur des évidences, ne rend pas compte d’une réalité à bien des égards plus complexe et plus instructive. Le recours à la guerre – fût-elle relativement symbolique – répond de façon plus obscure à un désir qui dépasse en effet l’opportunisme politique le plus facile à imaginer.
Car il y a fort à parier que la société dont nous parlons – la nôtre – désire en effet la guerre dont elle a peur. Elle est, comme celui qui, traversant un pont, est aspiré par le vide. Son angoisse le précipite précisément dans le gouffre qui l’attire, comme si ce gouffre était la solution radicale à son problème. Cette réalité imaginaire recouvre de son voile la tentation du suicide. A l’heure où le Monde se fait peur et où notre peuple s’applique déjà à se déchirer lui-même, il est tout à fait possible de penser que la Guerre – acceptée dès aujourd’hui sous l’aspect d’une dramatisation médicalo-politique – réalise par avance le voeu inconscient d’une société malade.
Dans une telle perspective, on pourra penser que le Président aura lui-même intégré, par-delà ses propres calculs, le désir inconscient d’un peuple qui lui échappe : ne l’aide-t-il pas à satisfaire son aspiration auto punitive au désastre annoncé ?
Mais qui dira donc, après la Guerre, si le Roi n’est pas toujours aussi nu ? Car la morgue de l’énarque et celle du protecteur attitré de la technocratie remonteront à la surface des nouvelles assemblées populaires. Et la Guerre, sortie des décors de son théâtre, reprendra, comme après les mauvais Traités. A moins que …
A moins que les vieux partis politiques (et les syndicats) se refassent une santé et produisent des responsables enfin dignes des enjeux d’une République fidèle à ses valeurs : Liberté, Egalité, Fraternité !
Jean-Pierre Bigeault,
Le 12 mai 2020
1 Cf. le premier discours du Président Macron sur le coronavirus.
2 Défaite à laquelle le Président Macron n’oppose pas par hasard la bataille de chars du 17 mai 1940 conduite par le Colonel De Gaulle. La Résistance au virus vaut donc cette comparaison ! Vive la France victorieuse…juste avant la débâcle !