Une poétique pour l’éducation. De la psychopédagogie à l’art d’éduquer

Voici un ouvrage qui tombe à pic. En conservant une perspective psychanalytique, J.-P. Bigeault revient en toute liberté vers cet objet de pensée et de pratiques, la psychopédagogie, qui comme le sable coule entre les mains, ne cesse de nous échapper et de faire retour. Dans le contexte social actuel où la logique économique sert d’idéologie, portant l’utile au pinacle, l’auteur nous invite à un voyage au pays de l’éducation, promulguant un savoir-faire qui ne saurait se passer d’un certain savoir-être. Le décalage créé par le titre de l’ouvrage est bien une invitation, à rêver plutôt qu’à compter, à penser/vivre plutôt qu’à agir. Une mise en perspective plutôt qu’une recherche de la mise en acte, écrit l’auteur.
Dans cet ouvrage découpé en trois parties – historique, pratique, poétique –, il est question de co-créer un tissu institutionnel sur fond d’espace de rêverie partageable. Cet espace, aux effets non prédictibles, a pour visée de mieux accompagner les adolescents en souffrance qu’il accueille. R. Cahn l’évoque, dans la préface : face à ces adolescents, il est essentiel, voire vital, de rester inventif dans le dispositif psychopédagogique dont on croit tenir les rênes, de se laisser surprendre, et donc de ne rien figer dans des positions trop conventionnelles. On tient là, par l’abord historique des pédagogies nouvelles et de l’espoir (de l’utopie ?) partagé avec la psychanalyse, un contre-modèle de nombre d’institutions qui ont tenté ce geste envers ces adolescents : si l’institution est une création profondément humaine, elle ne peut qu’être traversée par les conflits et l’ambivalence de ceux qui la portent. Prendre en compte ces mouvements, ne pas les repousser mais plutôt les accueillir, implique une forme d’éloge discret du désordre, doublée d’une impossible modélisation. C’est peut-être là une des réponses possibles à l’idée proposée par J.-P. Bigeault : la psychopédagogie pourrait bien être une étoile morte. En l’absence de toute systématisation, la psychopédagogie est un mélange hybride de théories potentielles dont la diversité fait le sel ; elle est heureusement condamnée à se réinventer en fonction de chaque contexte et de chaque retrouvaille avec ces adolescents si dérangeants pour nos certitudes. Avec eux, impossible de s’endormir, ils nous tiennent éveillés même la nuit.
On ne trouvera donc dans cet ouvrage aucune thèse récurrente mais plutôt le récit d’un work in progress institutionnel qui a valeur d’expérience unique – et à ce titre remarquable, paradigmatique. Quant aux adolescents, la position adoptée par J.-P. Bigeault n’est pas sans rappeler la proposition faite par S. Freud en 1913, considérant que les tendances perverses et asociales doivent être vues comme le moteur de ce qui peut être transformé par la sublimation, et non un ennemi moral à combattre : « Nos plus hautes vertus se sont élevées, par des formations réactionnelles et des sublimations, de nos pires dispositions. L’éducation devrait scrupuleusement s’empêcher d’enterrer de si précieux ressorts d’action et devrait se limiter à encourager les processus par lesquels ces énergies empruntent des voies saines. »
En remontant aux fondations de la psychopédagogie, l’éducation apparaît comme un acte non seulement poétique, mais aussi, depuis toujours, politique. On repense à A. Aichhorn, au début du xxe siècle, créant des foyers éducatifs pour adolescents afin que ceux-ci ne soient pas embrigadés dans des mouvements paramilitaires annonçant le pire (l’instrumentalisation de la jeunesse, le nazisme…). Aujourd’hui, il demeure toujours suspect de penser ailleurs que dans un objectif précis, comme de viser la réussite scolaire à tout prix. Mais, comme le remarque l’auteur, les projets psychopédagogiques comme celui de Bernfeld et Hoffer en 1918 se heurtent à un obstacle récurrent : l’idéalisation, qui apparaît comme un leurre nécessaire, comme le bébé devra se désillusionner après avoir nourri l’illusion qu’il est le monde.
Qu’il s’agisse d’« ambiance psychothérapique » ou de « psychothérapie orchestrée », la psychopédagogie veut malgré elle quelque chose : agir sur les blocages inconscients en passant par la bande, par des dispositifs mettant la créativité et le décalage au premier plan. La prise en compte de l’environnement, familial et social, est aussi sa marque de fabrique, incluant un dialogue entre les différents partenaires qui se préoccupent de l’enfant et qui ne peuvent s’empêcher de se regarder en chiens de faïence. La qualité de l’environnement de l’enfant en dépend : prendre soin de lui s’articule avec le fait que la position psychopédagogique est une « émanation d’équipe » au sein de laquelle chacun pourrait être le porteur de son désir. La reconstitution d’un espace familial élargi, comme Anna Freud en son temps avec l’école d’Hietzing, fait partie de l’aventure et de son climat. Dans des coins plus sombres, on trouve aussi l’interdépendance affective. Comme l’étoile, l’angle peut paraître mort, mais une mort sans doute annoncée prématurément : l’atelier de français ou de mathématiques, de théâtre ou de poésie, ne peut être dissocié du travail effectué dans un internat de province par le menuisier, pilier officieux de l’institution. Suivant ce fil métaphorique, les adultes se retrouvent dans des « réunions de chantier » qui fon(den)t le ciment institutionnel. Cette culture du lien serait pourtant vaine sans la valeur de l’expérience, ici celle de l’internat.
Parce que c’est là que veut nous emmener finalement J.-P. Bigeault, avec un ton léger assumant sa différence. Dans le récit de cet internat qu’il dirigea il y a quelque temps déjà, il revisite l’importance d’une collégialité partagée : les enfants sont impliqués dans une commission des menus et ainsi, à petites touches, on voit émerger de l’ombre une atmosphère et sa flagrance. La vie passe, par exemple, à travers la construction de « journées à vivre ».
Par cet écrit humaniste loin de tout langage technique, J.-P. Bigeault raconte avec style les petites histoires qui composent le puzzle institutionnel. Ici, l’histoire d’un vol, là celle d’un incendie. Cet incendie allumé par un adolescent apparaît comme une tragédie – les bâtiments scolaires brûlent, on démissionne, l’illusion apparaît dans sa crudité, nue. En même temps, cet incendie agit comme un révélateur, à la façon dont un événement peut éclairer la nuit pour en démasquer les ombres. Médiation, marge, interstice, autant de mots creux s’ils ne sont pas accompagnés d’une expérience ; ici, dans cet internat, entre les murs, entre les mots, le double sens propre au langage de l’inconscient circule régulièrement : comment ne pas entendre que l’existence d’une grotte, à côté de l’internat, fait office de refuge ou d’espace véhiculant les angoisses de chacun ?
La pratique institutionnelle avec des adolescents ressemble souvent à une grotte à traverser, chaque son produisant une série de résonances pour chacun. Comme un écho de grotte, la culture de la séparation traverse à la fois la pratique institutionnelle et la problématique de tout adolescent. Peut-on exercer son art, de pédagogue, de psychothérapeute ou des deux, sans être proche de son adolescence, non pas dans une complicité que les adolescents dénonceraient sans concession, mais pour mieux entendre les vents contraires qui les agitent ? Pour éduquer, il serait nécessaire de conserver une certaine mobilité, pour transformer un savoir ou une technique en processus créatif. Les prises de décision baroques ne sont alors jamais loin ; cet adolescent qui crache sa désespérance aux visages médusés des éducateurs, il lui sera paradoxalement ordonné comme sanction de dire enfin, une fois pour toutes, tout le vocabulaire grossier à sa disposition, de donner toute sa place au fumier qui l’anime. Sous l’apparent absurde, l’humour perce et donne sa chance à celui qui déroge. De la même façon, comme A. Aichhorn le fit en son temps, donner la responsabilité d’un magasin – ici une buvette, là du tabac – à un adolescent qui a commis un vol fait glisser les lignes d’horizon, déplace et remobilise, dans la confiance d’un lien sécure et non menaçant.
Entrez dans cette danse, on en ressort ahuri devant l’audace, et joyeux face à l’absence de tout cynisme qu’implique cette poétique de l’art éducatif : une certaine dose de risque. N’ayez crainte, entrez dans la grotte.

Florian Houssier,
psychologue, psychanalyste et maître de conférences (hdr) à l’université Paris-Descartes.
In EMPAN 2011/4 N°184

D’UNE VIOLENCE L’AUTRE OU PETITS « AUTOCARS CHERS »  ET GRANDES MANOEUVRES DANS LES CITÉS

Cet article réagit à une autre tribune publiée dans les Actualités sociales hebdomadaires du 30 juin dernier par Jean-Marie Petitclerc. L’auteur exposait notamment que « la question de la mobilité doit être au cœur de la problématique du renouvellement urbain », et qu’« après le choc des émeutes, il est donc urgent de refonder la politique de la ville. L’éducation à la mobilité et l’expérimentation de la mixité sociale me semblent devoir constituer aujourd’hui les axes prioritaires des réformes à entreprendre ». En terme de rétablissement de la mixité sociale, il suggérait : « plutôt que de concentrer les moyens sur les collèges en difficulté dans les quartiers sensibles, il faudrait les répartir entre les dits collèges de l’agglomération qui accueilleraient, chacun pour une part, les élèves domiciliés dans ses quartiers ».

La violence dite des jeunes suscite des prises de position, des slogans, voire des mesures qui, trop souvent, procèdent d’un mélange de bons sentiments et de gadgets dont le moins qu’on puisse dire est qu’il contribue davantage à évacuer la question qu’à véritablement y répondre.

Tel est le cas de la formule-miracle que propose à nos décideurs Jean-Marie Petitclerc, éducateur spécialisé [2]« pour gagner le combat contre la violence ».

Les textes auxquels nous allons nous référer sont, d’une part, l’article « Pour une autre politique de la ville » paru dans la revue Études de janvier 2006 (n° 4441) et d’autre part, la tribune libre intitulée : « l’éducation à l’épreuve de la politique de zonage et de l’immédiateté » parue dans les ASH du 30 juin 2006 (n° 2242).

Pour l’auteur « l’embrasement des cités », ou plus exactement des quartiers dits sensibles, a stigmatisé l’échec d’une politique de la ville qui non seulement n’a pas enrayé, mais, selon lui, renforcé le phénomène de « ghettoïsation » et, par là-même, la violence qui lui est liée.

C’est en effet, toujours d’après J.-M. Petitclerc, dans la mesure où le saupoudrage des moyens et donc la dissémination des institutions (notamment scolaires) aurait enkysté les populations dans la problématique psychosociale spécifique de leurs quartiers, que la mixité sociale n’a pu se réaliser.

Projetés dans le miroir où se fonde, à travers l’image collective de l’échec, une forme négative d’identité commune, les élèves, scolarisés dans ces quartiers, auraient ainsi été condamnés à reproduire les modèles que leur impose la violence structurelle de leur groupe d’appartenance.

Le piège de l’homogénéité sociale se refermant sur eux, le ghetto les a immobilisés dans un espace qui imprime à la temporalité de quelque projet que ce soit sa propre réduction et réduit d’autant le comportement à une simple réactivité.

Tels seraient donc les effets d’un zonage [3] qui aurait pour ainsi dire mécaniquement conduit à rien de moins qu’à « la faillite du système éducatif ».

Le problème ainsi posé dans sa simplicité topo-organisationnelle, l’évidente solution qui s’impose serait la suivante : fermer les collèges qui ne sont, dans ces zones, que des bombes toujours prêtes à exploser, et transporter les élèves vers des établissements « des centres villes » où une forme de mixité sociale surgirait enfin !

Tel est donc le schéma de la nouvelle « bonne nouvelle » éducative qui nous est ici annoncé !

Une sorte de triptyque nous y présente, dans sa partie centrale, le creuset où la matière sociale produit sa propre violence à partir des éléments violents qui la composent, tandis que les deux autres volets décrivent, d’un côté les violences parasitaires de l’environnement politico policier, et de l’autre la violence – mais cette fois conçue comme constructive – d’un programme réparateur qui ne vise à rien moins qu’à « favoriser la mise à distance du quartier ».

Entre les facteurs dits déclenchants d’une part (maladresse d’un ministre, de policiers, de juges…) qui potentialisent en quelque sorte l’agressivité des jeunes, entre les traitements de choc retenus d’autre part pour remodeler (par le dynamitage des barres et des institutions) les liens d’une population avec son espace physique et social (la maison et l’école), et enfin entre la violence des jeunes elle-même et ces violences voisines, les rapports de cause à effet se perdent dans le patchwork d’une pensée livrée au morcellement de son objet. Les faits s’enchaînent ainsi comme les choses dans un ordre dont les intentionnalités ne structureraient pas la cohérence. Tout au plus « le système » (le zonage) est-il supposé activer un phénomène dont la génération quasi spontanée ne semble concerner, sous le rapport de la vraie causalité, que les jeunes eux-mêmes, à la fois victimes pitoyables et acteurs néanmoins responsables d’une sorte de maladie par ailleurs « inexcusable » [4].

Ainsi donc, si la « rage » des jeunes incendiaires ne peut que redoubler quand, par une sorte d’inadvertance, le souffle indélicat des acteurs sociaux s’exerce sur leurs braises, c’est de leur propre impuissance culturelle à s’exprimer qu’elle provient [5].

Mais la pensée se perd dans les ambivalences de la raison généreuse. C’est là où le fantasme arrangeant vient à la rescousse : la fausse sortie d’un conflit sans issue se profile à l’horizon rétréci du drame sous la forme d’un « deus ex machina ». Il nous invite à laisser la complexité au seuil de la pensée nouvelle qui sera pragmatique, frappante, et bonne pour la bonne conscience.

Il s’agit en effet de concevoir enfin que les malheurs de la haine et de la peur que disent les violences ne sont que les ratés mécaniques d’une « territorialisation » mal ajustée et en particulier d’une mauvaise distribution des élèves entre leurs écoles. Ainsi, au siècle dernier, expliquait-on que la souffrance des ouvriers ne tenait dans les usines qu’à l’inadéquation des instruments du travail.

Et c’est ainsi qu’en partant des bons sentiments, le magicien sort de son chapeau le gadget salvateur : « refonder la politique de la ville » sur la mobilité de ses jeunes enfin « sortis de leurs quartiers » grâce à une « nouvelle politique des transports publics ».

Si la montagne du cœur enfin raisonnable [6] n’accouche ici que d’une souris au regard de la pensée qu’on attendait, sans doute faudra t-il se souvenir que l’esprit pratique est un rongeur qui a toutes ses dents.

Car l’idée sous-jacente ne mord pas n’importe où. Elle déchiquette l’évidence selon laquelle la violence dite des jeunes fait partie d’une violence sociale beaucoup plus large qui en contient le principe et en crée les conditions. Elle susurre qu’en tant qu’elle serait déterminée par un facteur quantitatif intrinsèque (telle que la pression d’une densité locale de jeunes plus ou moins assimilés à une « racaille » dont on ne prononce pas le nom), cette violence des jeunes ne serait liée qualitativement à aucune autre. Elle suggère que sa nature se confond avec celle du quartier et en particulier de ses caïds. Si bien que le mal doit être traité sur place comme le symptôme avec lequel il se confond et qui, à ce titre, mérite simplement d’être éradiqué. L’idée qu’une telle violence pourrait être elle-même l’un des symptômes d’une violence sociale en pleine extension [7]s’évanouit à l’horizon d’une pensée « politiquement correcte ».

Et ainsi donc le glissement progressif du discours – de l’humanisme mou à la logistique chirurgicale (puisqu’il s’agit, rappelons-le, de découper un morceau du corps social et le greffer sur un morceau voisin)- nous ramène t-il à une « politique de la ville » qui n’a jamais réellement remis en cause l’exclusion qu’elle déclare combattre [8].

Car le dézonage que Jean-Marie Petitclerc oppose au « zonage » de la politique qu’il dénonce, ne s’abrite à son tour derrière le décor de la mixité sociale que pour justifier l’exclusion par l’intégration : exclusion supposée réparatrice d’une partie de la cité, intégration de cette partie dans une autre supposée intégrée elle-même à une société supposée non violente !

Mais si l’exclusion s’impose, n’est-ce pas que la pensée ne peut échapper au clivage qui continue de vouloir sauver la mauvaise part de l’humanité par la bonne, étant entendu que la violence ne traverse pas le corps social dans sa totalité !

La formule magique que nous propose Jean-Marie Petitclerc appelle par ailleurs les observations suivantes

1. Le ghetto des quartiers sensibles obéit à un processus de ségrégation territoriale qui touche largement (et sous l’effet d’une contrainte qui n’est pas qu’économique) une société française de « l’entre-soi » [9]. La clôture des beaux quartiers s’est constituée elle-même (et les phénomènes qu’elle génère) dans une logique de l’exclusion sociale [10] ;

Sur ce fond commun de ségrégation et de repli, les « quartiers sensibles » ne sont pas les derniers -du fait même de leur pluri ethnicité, des liens de leurs populations avec les pays d’origine – à développer des conduites d’ouverture sur des « ailleurs » ;

2. S’il est vrai qu’une contrainte interne s’exerce – au titre de la violence – à l’intérieur de chaque « communauté » (y compris donc dans les beaux quartiers où elle revêt d’autres formes), il n’en reste pas moins que la violence des quartiers sensibles s’élabore tout aussi bien sur le modèle d’un « rapport de force » institué, dont les bénéficiaires ne viennent pas tant des cages d’escaliers que des meilleures écoles [11] ;

3. L’école (bas de gamme !) dont l’impuissance [12] est décrétée par Jean-Marie Petitclerc n’a pas tout essayé en dépit des expériences positives qui ont été conduites en France et à l’étranger vis-à-vis précisément des problèmes de violence [13] ;

Ses objectifs et ses méthodes – prisonniers d’un modèle uniforme – ne sont, comme ils doivent l’être, remis en cause, sur la marge et contre l’avis des garants de l’ordre scolaire, que par des pédagogues formés à un peu plus que l’enseignement de leur discipline [14] ;

4. Déchirer le tissu social sous prétexte qu’il est enfermé dans « l’entre soi » mauvais de l’échec (le bon entre soi de la réussite n’étant pas remis en cause) peut-il être autrement ressenti que comme une violence supplémentaire ? L’identité (et l’identification qui la produit) se fonde sur la réalité d’un monde dont il ne suffit évidemment pas d’être extrait (par la force) pour se séparer et s’autonomiser.

Il arrive au contraire que la séparation restructure les liens dans l’idéalisation.

Mais s’il fallait achever de dénoncer les parti pris qui infiltrent le projet de remodelage social ici proposé, il suffira d’entrevoir dans la reconstruction historique suivante (supposée asseoir la formule miracle), le mépris discret d’une élite vis-à-vis des médiocres réalités de l’origine :

« Lorsque, dans notre pays, on a scolarisé les enfants des paysans, on ne les a pas rassemblés dans un collège en plein champ ! On a financé un système de bus permettant aux enfants de la campagne d’être scolarisés avec ceux des villes et de construire ensemble l’avenir du pays » [15].

Il importe peu à J.-M. Petitclerc que l’école rurale, où ils vinrent longtemps à pied, aient permis à nos bouseux (de grands-parents) d’apprendre quelque chose… Contre l’embourbement exotique des banlieues, il lui faut lever cette armée d’autocars mythiques (véritables taxis de la Marne de l’intégration) dont il serait urgent de croire qu’elle a déjà sauvé les jeunes culs-terreux d’autrefois de leur stupidité native !

Quand le discours dit une chose et son contraire, c’est que la pensée elle-même, prisonnière d’un double désir, entrevoit l’impasse où la conduit son ambiguïté.

La généreuse pensée de Jean-Marie Petitclerc tourne dans sa cage comme si son ombre la poursuivait : l’ombre du « retour au calme » et de la paix des chaumières, de la soumission à un pouvoir dont les abus doivent être condamnés et pardonnés pour qu’on en finisse avec le désordre, dans le respect des valeurs.

Car le suicide des pauvres est un crachat sur nos étendards !

Casser le ghetto des quartiers sans humilier personne, ni surtout exercer la moindre violence [16], le mot est dit.

Les autobus feront le reste !

Jean-Pierre Bigeault
in Journal du Droit des jeunes, n° 259, 2009


[1] Toute ressemblance ou homonymie ne sera pas retenue contre l’auteur !

[2] Et aussi polytechnicien, prêtre salésien, directeur d’association, chargé de mission auprès du Conseil général des Yvelines, membre du Comité d’évaluation et de suivi de l’Agence de rénovation urbaine.

[3] Terme emprunté au discours urbanistique et dont la connotation n’est évidemment pas neutre en tant qu’il véhicule une certaine représentation techno administrative du corps social.

[4] Ne dirait-on pas une sorte de « sida social », déjà dénoncé en son temps ?

[5] N’a-t-on pas longtemps voulu penser que les malades de l’amiante n’étaient victimes que de leur propre terrain cancérigène ?

[6] « On a tant dépensé d’argent pour rien » déplore en substance Jean-Marie Petitclerc !

[7] Cf. « Manière de voir », Le Monde diplomatique, 89, octobre-novembre 2006, « Banlieues, 30 ans d’histoire et de révoltes ».

[8] On sait comment les politiques ferment les yeux sur le non respect de la loi concernant l’urbanisme en matière de logement social.

[9] Cf. Éric Morin, Le ghetto français, enquête sur le séparatisme social, La République des idées, Le Seuil, Paris, 2004.

[10] Cf Daniel Cohen, Trois leçons sur la société post-industrielle, La République des idées, Le Seuil, Paris, 2006.

[11] L’arrogance de nos énarques et autres produits du système de « l’entre soi » ne vient pas des quartiers sensibles.

[12] On notera que cette impuissance procède, selon Petitclerc, de ce que l’école s’adresse à des « tribus » (organisation primitive qu’on n’ose pas dire sauvage) pour qui l’échec n’est qu’un signe d’appartenance comme un autre (tatouage).

[13] Benoît Galland, « Prévenir les violences à l’école », in « L’école six ans après le décret « mission » », Presses universitaires de Louvain, 2004 ; Eric Debarbieux, La lutte contre la violence à l’école…in « Améliorer l’École » opus cité.

[14] Cf. Gaëtane Chapelle et Denis Meuret, Améliorer l’école, Paris, PUF, 2006.

[15] JM Petitclerc, Tribune libre, op. cit.

[16] « Mieux vaut utiliser la voie de la persuasion» dit JM Petitclerc en conclusion de sa tribune libre.