ACTUALITÉ

Ô morts privés d’amour

Ô morts privés d’amour

Par une Science imbécile

Et les petits chefs de gare

D’un pays qui déraille.

Nous pensons à vous

Figures de la relégation des cœurs

Quand l’Homme n’est plus

Que cette menace à lui-même

Loup pelé

Qui se mange le corps.

Frères humains devenus choses

Parmi les choses

La loi des chiffres pervers

Vous a coupés de votre vie

Et vous êtes nos visages.

Frères votre mise à mort

Loin des vôtres

Dit le confinement de nos esprits

Par la peur

Quand la liberté devient dangereuse

Le masque des sauveurs

Fait grimacer la démocratie.

Ô morts déportés de l’amour

Pour le camp des Déchets

Vous nous montrez notre désert

Une société s’y bat

Pour consommer sa vie.

Quelle écologie de la plénitude humaine

Sera-t-elle au programme

De nos chères écoles

Et de la triste administration

Qui nous gouverne ?

Car nos morts abandonnés

Préfigurent notre destin

Et nous demandent

De rendre à l’Homme

Ce qui le fait Homme.

Jean-Pierre Bigeault
Le 28 mai 2020

Malheur aux faibles

Dans un livre célèbre intitulé « De la horde à l’Etat »1, le sociologue Eugène Enriquez écrivait en 1983, que le sacrifice des fils par les leurs pères avait pu trouver dans la guerre la réalisation non dite d’un désir inconscient. Il n’en rappelait pas moins que, comme l’avait dit Hegel, « l’enfant vit la mort de ses parents ».

Une société comme la nôtre semble bien satisfaire ce double programme. Sa jeunesse, à la fois flattée et abandonnée, promise au remboursement de la Dette publique et à la crise de l’Economie, ne devra-t-elle pas, elle aussi, vivre « sa Guerre ». Et, dans le même temps, à la faveur d’une épidémie aussi imprévue que dramatisée, les personnes âgées auront fait l’objet d’un souci et d’un soin qui cachent difficilement le désir inavoué d’en finir avec « les Vieux ». Sous le prétexte en effet de les préserver de la maladie, on a tenté de les enfermer chez eux, tandis que dans les Ehpad on les condamnait à l’isolement. Enfin, pour faire face au risque de contamination, et au mépris des droits comme des besoins fondamentaux de la personne, on a interdit aux proches des mourants d’accéder à l’hôpital et on a procédé dans les mêmes conditions d’abandon réel et de déshumanisation symbolique pour ce qui concerne leurs obsèques.

Une telle monstruosité – officiellement justifiée par le « principe de précaution » – répond à un désir d’ordre et de rationalité qui en dit long sur la nature du Pouvoir en cause. Ce Pouvoir se révèle en effet criminel, non seulement vis-à-vis des personnes concernées mais vis-à-vis de l’humanité en tant qu’espèce identifiée depuis les origines par son attachement au culte de ses morts. Un tel pouvoir politique révèle son véritable mépris de la « Cause humaine » ainsi sacrifiée à la « Santé publique ». Faut-il ajouter qu’il entraîne démagogiquement dans son sillage tous ceux qui, au prétexte du danger, préfèrent sacrifier des valeurs morales essentielles à une survie inconditionnelle ?2 Et c’est ainsi, comme l’expose aussi bien Eugène Enriquez, qu’un Pouvoir – fût-il officiellement démocratique – devient lui-même ni plus ni moins pervers. Au nom même d’une fausse rationalité, il assimile par exemple l’urgence sanitaire à un état de guerre qui, sans que cela ne soit dit, autorise la violation des valeurs qui nous font Homme.

Ce mensonge – par un simple glissement de sens – et la cruauté effective de ses conséquences, répondent de fait aux exigences d’une technocratie déshumanisée dans son principe même. Cette technocratie met en cause à la fois des hommes et un système. A travers elle le Pouvoir décisionnaire s’instaure sur le déni des réalités (républicaines et démocratiques) auxquelles il prétend se soumettre : il fonctionne en effet comme le seul producteur de la loi, se situant ainsi, comme on vient de le voir, au-dessus des lois humaines.3 Son discours est un discours de savoir 4 et de vérité tel que confirmé par « les chiffres ». La maîtrise totale qu’il entend exercer sur le peuple s’exprime technocratiquement par des directives aussi précises que fondées sur des données quantifiables et qui sont surtout destinées à protéger le Pouvoir contre les accusations dont il pourrait être l’objet. Un tel Pouvoir est à ce titre, dit Enriquez, « le représentant privilégié de la mort en tant qu’il n’est intéressé que par les statistiques et le savoir immobile ».5 Ainsi, quelle que soit sa prétention scientifique et sa réussite technobureaucratique, le dit Pouvoir ne comprend rien à la réalité existentielle (psycho-socio-affective) de la personne humaine et donc à ses besoins fondamentaux. C’est en effet que l’Homme n’a de vraies valeurs – à l’aune de cette « vue du monde » – qu’en raison de ce qu’il « produit ».

Selon cette conception, les « Vieux », comme d’ailleurs les « Jeunes », coûtent plus cher qu’ils ne rapportent. Ils évoquent un savoir qui n’entre pas dans les catégories de l’efficience économique et financière. Ils montrent même les limites de tout savoir en représentant la fragilité, sinon la chute, dans un monde sensé obéir aux principes de l’ascension (sociale) et … de la victoire sur la mort.

Ainsi, l’évacuation des « Vieux », livrés à la notoire insuffisance des Ephad, ou à l’ultime liquidation hospitalière (sans parler de la réduction des retraites et bientôt de l’épargne non productive) est-elle le signal d’une guerre qui ne dit pas son nom : une guerre contre les faibles.

Quant aux Jeunes, malgré les protestations d’usage, ils sont soumis à l’écrémage organisé de l’élite et voués au service d’une machinerie formative qui ne les prépare guère à affronter la réalité. Cette escroquerie tranquille qui flatte un peu tout le monde semble bien soutenue par un inconscient collectif qui permet de noyer le poisson d’une jeunesse idéalisée et bel et bien renvoyée à son immaturité.

Que si l’on s’étonne de cette dernière référence à la notion aujourd’hui mal reçue d’inconscient, on se rappellera que nos grands moralistes n’ont pas attendu Freud pour nous dire que « l’enfer est pavé de bonnes intentions ».

L’enfer des totalitarismes connus n’est-il pas d’abord la promesse d’un paradis ? les peuples, bernés par la posture et le discours de leurs représentants, sont conduits sans le savoir vers des formes de pouvoir qui ne manquent pas de s’appuyer sur ce qui a été appelé dès le XVIème siècle « la servitude volontaire ». Les fléaux – épidémies, crises financières et/ou économiques – la peur et les malheurs, nous poussent à nous en remettre à des pervers déguisés en sauveurs.

Faut-il donc le redire, le vrai combat avec la mort est d’abord un combat contre et avec soi-même. Personne ne mènera ce combat à notre place. L’organisation de notre santé, si souhaitable soit-elle, peut aussi bien servir les politiques à nos dépens, pour peu que nous leur abandonnions notre liberté et notre responsabilité de personnes citoyennes. Quant aux irresponsables ou réputés tels, ils disent le déficit de notre système éducatif, sans parler de la non-gestion politique des problèmes sociaux. A la peur des uns fait écho la colère dépressive des autres.

Quoi qu’en pensent trop de médecins, on ne traite une maladie qu’en traitant le contexte dans lequel elle s’inscrit. Le virus de la peur nous assure de nos défaites. Un pouvoir qui joue de cette peur nous promet de tristes lendemains.

Jean-Pierre Bigeault,
le 31 mai 2020

1 De la horde à l’Etat – Essai de psychanalyse du lien social, NRF, Paris, Gallimard.

2 Des peuples n’ont-ils pas cédé à de tels pactes avec le diable sous des régimes politiques qui désignaient les Juifs « ou d’autres minorités » comme des « virus » justifiant les traitements que l’on sait.

3 Cf. ENRIQUEZ (E.), opus cité, p. 374.

4 Qu’on se rappelle les assemblées populaires organisées par le Pouvoir pour répondre aux Gilets jaunes.

5 ENRIQUEZ (E.), opus cité, p. 376.

Honte Honte Honte

Honte honte honte

Quel monument devons-nous dresser

Pour dire aux Représentants du Peuple

A ses prétendues élites

Aux bricoleurs de la République

Aux apôtres du « sauve-qui-peut » chez soi

A ces marchands de peur

A ces fuyards :

Nous avons perdu la guerre

Encore une fois nous avons sacrifié notre âme

A la survie médiocre

A nos passions d’arrière-boutique

Aux fausses libertés

De la bonne et mauvaise fortune

Notre défaite annoncée.

Car dans nos hôpitaux débordés

Nous avons balancé « nos morts »

Par-dessus le bastingage du bateau

Où s’entassent nos valeurs

Et ces morts flottent devant nous

Soldats connus et méconnus

Miroirs de notre honte

Nous leur avons craché au visage.

Et en effet, qui peut admettre qu’au nom de la prétendue « protection sociale » (de quelle injustice s’agit-il donc enfin de nous protéger ?) on condamne des malades en fin de vie à mourir seuls, hors de la présence de ceux qu’ils aiment et qui les aiment – et qu’il en soit ainsi pour leur sépulture même ?

Ce scandale donne la mesure de la déshumanisation dont sont d’abord responsables nos représentants politiques et tous ceux qui se réclament dans notre pays d’une quelconque autorité morale. Le matérialisme béat des technocrates qui nous gouvernent, la misère philosophique du Conseil scientifique qui leur souffle les réponses à une situation qu’ils n’auront maîtrisée, ni techniquement, ni moralement, le repli sur soi, à la fois originaire et ordonné (par le Pouvoir) de trop de citoyens, ont livré notre âme collective au Mal que dénonçait en son temps l’Antigone de Sophocle.

Dans une Europe qui a connu cette déshumanisation absolue dont la « solution finale » aura été l’instrument concret et le symbole de portée universelle, la France, donneuse de leçons devant l’Eternel, s’est alignée – au prétexte de sauver son peuple (et pourquoi pas sa race ?) – sur l’administration et la gestion dont se réclamait en son temps un certain Eichmann qui, lui aussi, « faisait son devoir ». Quand le ver est dans le fruit, le pourrissement n’est pas loin !

Quant au « rattrapage « qu’offriraient des cérémonies et autres médailles (dédiées aux morts comme aux soignants) dont raffole le pouvoir de nos « petits maîtres », il ne fait qu’occulter le sens des « devoirs les plus élémentaires » en les rapetissant à l’aune de leur vision de l’Homme.

Qu’on se le dise en effet, nos morts – ni d’ailleurs nous-mêmes – ne sont pas des choses !

Qui donc nous rendra à la fois ce que nous sommes et ce que nous voulons être ?

Jean-Pierre Bigeault,
Le 27 mai 2020

Grand Inquisiteur

Enfin le Grand Inquisiteur est arrivé ! Il s’appelle Mr. STOP COVID (on trouvera son vrai nom dans le Magazine du Monde du 23 mai et aussi quelques éléments biographiques).

Ce technocrate chrétien, socialiste aujourd’hui « libéral », semble bien un pur produit du Système, tel que nous le voyons à l’œuvre dans un pays à cet égard depuis longtemps « macronisé ». Rien que de très banal ! Mais enfin ce technocrate parle ! Il dit (toujours selon Le Monde) dans une Tribune publiée sur le site Médium : « chacun pourra refuser cette application1 pour des raisons philosophiques », mais cela reviendra « à accepter le risque de morts supplémentaires ». Le choix est donc clair : renoncer au respect de sa liberté (valeur démocratique par excellence) ou devenir potentiellement un assassin.

L’idée que les citoyens disposent encore d’un sens de la responsabilité étant évacuée par principe, on se demande pourquoi ces mêmes citoyens ont encore le droit de voter ! On appréciera par ailleurs le déplacement de l’ordre politique sur l’ordre moral.

Ainsi, la bonne vieille culpabilisation, nourrie de la peur, est-elle appelée à l’aide, quand on ne sait plus quoi faire, ou plutôt, tout aussi bien, quand on y trouve avantage en matière de pouvoir. Un plan d’urgence pour une éducation citoyenne dès l’école n’étant pas au programme, on voit à quelles vieilles recettes – dignes de Vichy – nous ramène la technocratie et sa culture a-morale des résultats.

Qu’on se le dise une fois pour toutes : l’homme est mauvais par définition (sauf lorsqu’il gagne beaucoup d’argent puisqu’il fait tourner la Machine) et il faut encore une fois le « sauver » – autrement dit, le « surveiller et punir », fût-ce en recourant à une police des mœurs.

A bon entendeur, salut !

Jean-Pierre Bigeault,
Le 23 mai 2020

1 Il s’agit, rappelons-le, d’une enquête sur la vie privée – en l’occurrence relationnelle – et fondée sur une atténuation voire violation du Secret médical.

Une guerre peut en cacher une autre

Une « drôle de guerre » – pas moins de six fois déclarée1 par le Président Macron – sévit dans notre beau pays. C’est qu’un envahisseur, venu de loin, la justifie. L’ennemi est rusé, incontrôlable, et il tue. Quelle violence inouïe dans un monde à qui l’on promet tous les matins « le risque zéro », et, bientôt, la mort de la mort !

Que l’épidémie de ce fameux coronavirus soit moins meurtrière que beaucoup d’autres importe peu. Elle appelle une réponse institutionnelle digne de ce nom (plus digne assurément que l’impréparation qui l’a précédée !) et une mobilisation collective, sans armes, mais ferme sur les principes (distance règlementaire, lavage des mains, etc…)

Et en effet, face à l’ennemi, au trouble qu’il génère chez les responsables de l’Etat, aux incertitudes voire aux contradictions des experts, à la trouille d’une société biberonnée au confort et plus généralement à la sécurité, les mesures benoîtement coercitives, la suspicion voire les dénonciations d’usage, un climat digne de l’Occupation (et donc de la Défaite2) reprennent effectivement du service. Sur les marges, il est vrai, une authentique « résistance » (aussi mal vue qu’à l’époque par une certaine France asservie) s’exprime par un humour sous lequel se cache plus d’une fois une vraie colère.

C’est donc la « guerre » et l’on se bat comme l’on peut. Cela occupe un peuple déprimé voire agressif dont la violence inquiète et justifie le pouvoir. Car, à qui profite le crime ?

Voici donc qu’un Président de la République en perte de vitesse dans l’opinion s’est trouvé confronté, non seulement à l’exaspération des extrêmes mais à celle du « peuple d’en bas », voire du milieu, sans compter la méfiance des autres. Il sait que l’agressivité de toute une classe de communicants ordinaires banalise la haine. Il est donc appelé par une sorte de grâce divine à jouer, non seulement les sauveurs (rôle bien difficile, on le sait, depuis Pétain), mais le chef de guerre tant attendu puisque … le pays en effet est en guerre…en guerre – osons le mot ! – avec lui-même.

Ce Président comprend donc que la France est dans le malheur, et une bonne grande partie de son peuple le suit – fût-ce à contre cœur – sur le chemin d’une guerre qui, encore une fois, consiste … à descendre dans les abris.

Ainsi donc, voilà qu’un ancien socialiste de droite entreprend, sur le mode gaullien, de reconstruire la France (à ses yeux depuis longtemps en quasi ruine) et qui, pour l’occasion, s’identifie enfin à « son » peuple dont il partage l’angoisse. Le Roi-fantôme a cédé la place au général en tenue de combat.

Sans doute convient-il d’ajouter ici que ce schéma, fondé sur des évidences, ne rend pas compte d’une réalité à bien des égards plus complexe et plus instructive. Le recours à la guerre – fût-elle relativement symbolique – répond de façon plus obscure à un désir qui dépasse en effet l’opportunisme politique le plus facile à imaginer.

Car il y a fort à parier que la société dont nous parlons – la nôtre – désire en effet la guerre dont elle a peur. Elle est, comme celui qui, traversant un pont, est aspiré par le vide. Son angoisse le précipite précisément dans le gouffre qui l’attire, comme si ce gouffre était la solution radicale à son problème. Cette réalité imaginaire recouvre de son voile la tentation du suicide. A l’heure où le Monde se fait peur et où notre peuple s’applique déjà à se déchirer lui-même, il est tout à fait possible de penser que la Guerre – acceptée dès aujourd’hui sous l’aspect d’une dramatisation médicalo-politique – réalise par avance le voeu inconscient d’une société malade.

Dans une telle perspective, on pourra penser que le Président aura lui-même intégré, par-delà ses propres calculs, le désir inconscient d’un peuple qui lui échappe : ne l’aide-t-il pas à satisfaire son aspiration auto punitive au désastre annoncé ?

Mais qui dira donc, après la Guerre, si le Roi n’est pas toujours aussi nu ? Car la morgue de l’énarque et celle du protecteur attitré de la technocratie remonteront à la surface des nouvelles assemblées populaires. Et la Guerre, sortie des décors de son théâtre, reprendra, comme après les mauvais Traités. A moins que …

A moins que les vieux partis politiques (et les syndicats) se refassent une santé et produisent des responsables enfin dignes des enjeux d’une République fidèle à ses valeurs : Liberté, Egalité, Fraternité !

Jean-Pierre Bigeault,
Le 12 mai 2020

1 Cf. le premier discours du Président Macron sur le coronavirus.

2 Défaite à laquelle le Président Macron n’oppose pas par hasard la bataille de chars du 17 mai 1940 conduite par le Colonel De Gaulle. La Résistance au virus vaut donc cette comparaison ! Vive la France victorieuse…juste avant la débâcle !

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