ACTUALITÉ

« C’est pour ton bien »

La peur de la Mort est donc devenue – comme celle, autrefois, de la damnation – un objet parfaitement concret et utilisable par les pouvoirs, si laïques et démocratiques soient-ils par ailleurs. Une religion profane de la Santé s’est imposée peu à peu à des peuples bercés par les progrès de la Science et le développement exponentiel de l’industrie pharmaceutique. Le Bien du « bien portant » a fini par récupérer ce que le Bien – au sens moral – portait en lui d’idéal. Le « niveau de vie » intégrant aujourd’hui le « niveau de santé », la guerre contre la mort relève donc d’une action politique de protection, appelée sociale sinon universelle. Ce progrès n’est pas sans risque. La Santé dite publique peut devenir un levier du Pouvoir tout aussi important et dangereux que le fut en son temps et, au nom de la morale, celui de l’Église. Un Sauveur peut toujours décider de restreindre les libertés au bénéfice d’une Santé publique devenue – comme peut l’être aussi bien l’Économie – le Bien supérieur d’un peuple.

La République n’est pas une assurance vie contre la mort. Elle ne peut contribuer à remettre la mort à sa place qu’en contribuant à déplacer l’objectif de la vie « à tout prix » vers celui d’une vie juste, laquelle ne fait pas seulement appel à la loi, mais à la responsabilité des citoyens comme bien sûr à celle de l’Etat. La peur de la Mort soutient la déresponsabilisation de l’homme, son infantilisation au service d’un pouvoir qui le mystifie.

Les marchands de santé1 gagnent trop d’argent pour que la vertu économique du salut dont il est ici question, n’en montre pas du doigt la construction perverse. Un certain clergé fut en son temps le profiteur d’une misère savamment justifiée. Les Princes ont besoin d’une Eglise, fût-elle savante, pour asseoir leur légitimité temporelle. Et la mort est une affaire qui marche. Comment ramener sa menace aux justes proportions d’une exigence qui appartient à la vie ? Comment dépasser l’idée que nous serions, par le fait d’une élection étrangement concentrée de notre moi, le tout d’un Dieu non-dit et soigneusement superposable à notre identité, fût-ce par temps d’athéisme ? Qu’il faille se sauver en consentant à s’échapper pourrait être le mot d’une théorie modeste et qui, sans qu’elle soit dite, aura sans doute été plus d’une fois, celle des héros les plus authentiques.

Jean-Pierre Bigeault,
26 décembre 2020

1 On aura compris qu’il ne s’agit pas de ceux – praticiens de la médecine ou chercheurs – qui ne sont pas côtés en Bourse.

Malaise

Quelle révolte rampante s’exprime sous la forme du doute – voire plus violemment – alors que le nouveau confinement bénéficie d’un amoncellement de justifications sous la forme de chiffres et de discours supposés mobilisateurs ?

Ne pourrait-on penser que le seul horizon proposé en termes de « malades, mourants, morts », ne fait que développer l’angoisse ? Imagine-t-on en effet qu’on puisse conduire une vraie guerre en informant jour après jour les combattants du nombre de pertes ?

Or, cette démarche, directement conduite par le « Comité scientifique », n’appelle-t-elle pas elle-même bien des réserves ? Dans son principe, le Politique – quand bien même il doit prendre en compte la situation de la Santé publique – n’est-il pas le seul habilité, tant symboliquement que pratiquement à prendre des décisions sur un sujet irréductible à sa seule dimension médicale ? Cet « abandon » du Pouvoir représentatif, déjà lui-même remis en cause à bien d’autres titres, ne saurait rassurer ; et cela d’autant moins que sa nature technocratique de plus en plus évidente entretient le sentiment qu’il a perdu le contact avec bien des réalités.

A travers ces évolutions, une véritable crise idéologique gagne peu à peu la France et elle est sans doute plus grave, à terme, que l’épidémie en cours. Tout se passe en effet comme si, dans l’incertitude où se trouve la Science elle-même, sa place au niveau décisionnaire relevait en effet d’un « appel » d’une autre nature. La Santé, présentée ainsi vis-à-vis des autres réalités comme une sorte de bien absolu devient une valeur suprême. Elle justifie en particulier la suspension de plusieurs libertés essentielles, ou à tout le moins leur limitation (l’Egalité et la Fraternité n’étant d’ailleurs même plus à l’ordre du jour), sans parler de la mise en danger socio-économique et évidemment psychologique de bien des citoyens. Certes, cette quasi « religion » qui ne dit pas son nom, met le corps et sa survie là où l’on a longtemps mis l’âme, le salut de l’un comme de l’autre exigeant des sacrifices. A travers ces bienveillants projets, on ne peut pas ne pas s’interroger sur la nature des sentiments qui animent les nouveaux « sauveurs » du Peuple. Comment en effet, non seulement oublier ce contre quoi la Révolution française s’est en son temps levée, ou, plus près de nous, la « mission » que s’octroya le gouvernement de Vichy ? Sauver les gens contre eux-mêmes, fût-ce en les conviant à se soumettre à la loi de l’ennemi pour sauver, et leur peau et leur âme, fut payé au prix que l’on sait : bien des peaux trouées de balles et combien d’  « âmes » soumises à la Peur, y laissant pour longtemps cette confiance en soi à défaut de laquelle la passivité redevient vite soumission.

Aujourd’hui, combien aurons-nous de « morts » causées par le vrai virus qu’est la Peur organisée par le pouvoir en place ? Une tranche significative de la population – parmi les jeunes et quelques très vieux (comme moi) – se pose la question. Face à une élite aussi arrogante qu’ignorante de la « vraie vie », un peuple infantilisé ne réclame une protection quasi parentale qu’en méprisant ceux qui l’y poussent. La République en est atteinte. On sent confusément, voire de plus en plus clairement, que la réduction médico-politique du « survivre à tout prix » est un arrangement avec la vraie Défaite, telle que celle que prépara en son temps les tristement célèbres « Accords de Munich ».

On n’échappe pas à la guerre – la vraie – en ne voulant pas la voir, ni même en la déplaçant sur des ennemis qui ne sont pas hélas, les plus dangereux (et dont d’ailleurs on n’a jamais pris les mesures hospitalières préventives nécessaires à leur traitement). Une République toujours fragile, telle qu’on l’a vue il y a 80 ans, devrait encore une fois se mobiliser vis-à-vis de ce qui menace ses vraies valeurs. Les rêves de « bonne santé plus ou moins éternelle – constituent, avec ceux de la Consommation réparatrice le nouvel « opium du peuple », d’une culture et d’une société menacées de bien des côtés à la fois.

En d’autres termes, on peut penser que le doute – et la colère – qui s’emparent des Français vis-à-vis du traitement médico-politique de l’épidémie viennent d’un malaise à la fois plus vaste et plus profond que celui qu’on s’efforce de réduire à « l’espérance de vie », sauf à entendre celle-ci dans son acception la plus large. Avoir confiance dans ses propres forces – y compris dans celles d’un Pouvoir représentatif – est autre chose qu’obéir à des règles. Les combattants ne mobilisent leur courage que s’ils croient à la cause qu’ils défendent et à l’engagement de leurs chefs. La gestion technocratique des incidents comme des accidents d’un parcours républicain, non seulement ne crée pas la force qu’il requiert, mais elle la réduit. De ce point de vue, le mépris, hélas très médical ! des conditions psychologiques de la lutte contre la vraie maladie, ne fait qu’entériner l’étroitesse de vue et la faiblesse de trop de nos responsables politiques.

Jean-Pierre Bigeault
3 novembre 2020

Couvre-feu

Pauvre France !

Mourir pour la liberté, cela s’est vu, voire être blessé à vie. Des hommes et des femmes, des jeunes et des moins jeunes, soldats de la République, résistants, civils, ont été sacrifiés pour que non seulement nous survivions physiquement, mais moralement aux agressions du dehors (l’Allemagne) et du dedans (Vichy). Cette histoire – que nous enterrons sous les manifestations convenues que l’on sait – est-elle donc sortie de notre mémoire ? Et ne serait-il pas temps de méditer ce que disait Goethe en son temps : « ce que tes parents t’ont légué, conquiers-le ! »

Or voilà bien qu’aujourd’hui la vie vaut plus que la liberté.

Voilà qu’un virus justifie que l’Etat (et ses technocrates) – sinon la République – remette en cause la liberté des citoyens (qu’il se plaît d’ailleurs à apeurer) pour sauver leur peau aux dépens de leur cœur et de leur âme. Le même Etat, érigé en Protecteur tous azimuts, fait pleuvoir des indemnités d’ailleurs insuffisantes pour parer aux effets économiques de la crise. Et comme cela en effet ne saurait suffire à recréer les conditions du fameux « vivre ensemble » (évidemment mis à mal par l’épidémie) il ne manque pas de faire appel à un moralisme vieux comme Vichy sinon davantage. Une pseudo éducation du peuple par la peur ne passe-t-elle pas par la bonne et vieille culpabilisation, cet opium du peuple ?

Ainsi le supposé consensus populaire sur la Santé publique et l’Etat protecteur est-il pour une large part le produit d’une politique qui développe l’asservissement plutôt que le courage.

Le courage est en effet le signe d’une vie qui se soutient d’un idéal.

A défaut de savoir traiter le virus – et accessoirement d’y mettre les moyens techniques en restaurant l’hôpital détruit par l’Etat lui-même – celui-ci caresse le Peuple dans le sens du poil (qui est celui de la Peur orchestrée à plaisir) plutôt qu’en l’aidant à se mobiliser courageusement non seulement pour sa survie physique et matérielle mais pour son honneur (égalité, fraternité) et pour sa liberté.

On en vient à penser que le gouvernement de ce pays n’a aucune vision de la République et des véritables dangers qui la menacent et qui menacent le peuple tout entier. Il apparaît comme le petit et mauvais gestionnaire d’une entreprise (économique mais pas seulement) en perte de vitesse, sinon en faillite. Le véritable « salut public » relève à cet égard de bien autre chose que d’un « couvre-feu » qui plonge en effet le Peuple dans l’ombre et, avec lui, la Nation.

Quant aux médias – relais trop souvent de cette politique hygièno-sécuritaire – ils courent eux-mêmes après les suffrages en collant à l’évènement sans prendre cette distance critique dont s’honorait en son temps le fameux Sirius, journaliste d’un de nos plus grands quotidiens.

L’évènement, comme le virus lui-même, fascine. Il entretient à plaisir une fascination collective qui, sans craindre le ridicule, se justifie elle-même par le recours officiel à une Science …qui ne sait rien ou pas grand-chose.

Ainsi donc le couvre-feu dit bien son nom. Il dit au citoyen : « Rentre chez toi et éteins la lumière ! ». Ce qui veut dire : « Laisse tomber cette société dangereuse et arrête-toi de penser ! ». Le feu qu’il s’agit de couvrir n’est pas celui de l’épidémie. C’est celui de la vie (d’ailleurs représentée ici par les loisirs, le fameux « otium » de nos ancêtres latins). Cette vie en tant qu’elle brûle en effet non seulement dans le corps de l’homme mais dans son rêve. Faut-il le redire ? la République est un rêve. La rationalité (d’ailleurs bien approximative) de nos « gestionnaires » ne sert que des intérêts (au sens le plus restrictif du mot) et non le bonheur du Peuple. Sans l’inspiration d’une foi (laïque) en ses valeurs et leur mise en pratique (dès l’Ecole Républicaine), son pouvoir décrédibilisé passera aux mains d’une dictature qui dira son nom. Une « patrie » – osons le mot ! – « en danger » mérite mieux que des apprentis sorciers diplômés qui ne couvrent le feu que parce qu’eux-mêmes en ont peur. Et en effet les passions d’un peuple qui ne sait plus à quel saint se vouer ont un pouvoir incendiaire qu’on ne saurait sous-estimer.

PS – Se battre contre l’ennemi invisible et apolitique qu’est le Covid-19 pourrait bel et bien se présenter comme un « front de diversion ». A l’heure où l’on décapite un professeur de collège comme à celle où l’on condamne « les petits et les sans grades » d’une société injuste, la « guerre » lancée au nom de la santé publique fait oublier le pire : la barbarie des forces financières et religieuses qui, de fait, s’en prend directement à nos valeurs. Vis-à-vis de ces ennemis-là, qu’elle soit subie ou voulue, l’impuissance politique se fait le lit de plus cruelles défaites.

17-10-2020
Jean-Pierre Bigeault

Enfin !

La pensée critique – instrument fondamental d’une vraie démocratie – aura eu d’autant plus de mal à s’exprimer que la Peur, comme on l’a vu, a constitué l’arme officielle de cette « guerre », à laquelle, une fois de plus, nous n’étions pas préparés !

Après les alertes dispersées, cette pensée critique prend aujourd’hui des formes plus structurées, témoin le manifeste publié dans le journal Le Parisien du 10 septembre dernier.

On remarquera que les 35 cosignataires de ce texte : chercheurs, médecins et universitaires, viennent d’horizons différents. Ils couvrent ainsi le champ d’une réalité plus complexe que celle qu’ont pris en compte les différents « gestionnaires » de notre crise sanitaire.

A force de simplifier les situations humaines en les traitant, comme l’économie elle-même, en fonction de « résultats » qui en restreignent dramatiquement le sens, on passe à côté des valeurs que nous défendons collectivement :

Liberté, Egalité, Fraternité

Que faire ?

Prendre le gouvernement de vitesse en se retirant à la campagne dans un trou. Ou se glisser incognito dans la future flèche de Notre-Dame tel un rayon céleste et regarder de haut la situation.

Cette suggestion, adressée aux cadres par le Conseil de Résistance, tombe à point nommé. Comme dit le Premier Ministre, on n’est jamais trop prudent : savoir garder les distances n’interdit pas de penser. Si chacun se tenait à sa place, l’horizon finirait bien par se dégager. Miser sur les laboratoires pharmaceutiques, le numérique et les stupéfiants. La Bourse, c’est la vie !

Nous avons donc décidé de surseoir à la Révolution.

Nous allons manger des racines et boire l’eau des nuages. Faire simple. Revenir à la terrestre base et au ciel. Mâcher lentement et voler (de ses propres ailes façon auto entrepreneur).

Ce que nous préférons dans cette époque méticuleusement épique (lavage régulier des mains ou Pilatomanie), c’est l’humour politique : réussissez, bon dieu ! Montez les échelons de l’échelle sociale et, une fois là-haut, faites ruisseler charitablement vos excédents, et bonne nuit, les petits !

L’avantage de la vraie guerre sur la chasse aux virus, c’est que les bombes ne trompent pas leurs cibles. Aujourd’hui la grande bonté institutionnelle nous endort, chers enfants qu’on aime, n’en demandez pas davantage. Regarder la science : elle se débrouille !

Jean-Pierre Bigeault,
Le 14 juillet 2020

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