La rencontre en psychanalyse

Le film récent Jimmy P.1 aura eu le mérite de rappeler que la psychanalyse n’est pas un art de salon, mais une aventure. Une aventure qu’on pourrait dire « à ciel ouvert » et qui n’en consiste pas moins dans une exploration de l’intime.

Pour ceux qui ont connu Georges Devereux, homme sans doute trop doué pour accepter l’ordre établi, le mélange des genres qui aura caractérisé sa pratique psychanalytique ne saurait étonner.

Mais sur ce point, la cure originale de Jimmy P. présente un intérêt plus général. Si éclairants qu’ils soient en effet dans leur articulation, les concepts opératoires de transfert et de contre-transfert n’épuisent pas la question délicate de l’expérience partagée qui donne à la relation psychanalytique la dimension quasi spatiale d’un lieu cognitivo-affectif véritablement assimilable à une rencontre.

C’est en effet là que se trouvent réunis dans l’analyse deux discours étrangers l’un à l’autre, deux positions dissymétriques d’où n’en finit pas moins par émerger ce que Christian David appelle « une nouvelle communauté de langage »2. Langage certes tout autant non verbal que verbal, aux limites du conscient et de l’inconscient comme du somatique et du mental et qui, conformément à ce qui se passe dans toute rencontre au sens le plus fort de ce mot, permet à l’ombre et à la lumière où se situe la vérité des sujets de se dialectiser dans une forme plus ou moins implicite de reconnaissance mutuelle.

Il est sans doute plus important que jamais que ces éléments de réalité soient remis à leur place. Car au-delà du discours psychanalytique (discours sur la psychanalyse sinon de la psychanalyse) si souvent tenté par le repli idéologique ou/et la maîtrise de l’informulable, il convient de rappeler que la pratique psychanalytique s’avance dans l’ouverture (du sens) vers ce que Guy Rosolato appelait : « la relation d’inconnu ».

La rencontre psychanalytique rejoint la rencontre sur laquelle se fonde un amour qui se construit. Renvoyant chacun à ce qui n’est pas encore su de soi, ni de l’autre, elle assure la dynamique d’un lien vivant, tel qu’échappant à la tentation du miroir, ce lien rouvre sur un devenir que même la séparation – la fin de l’analyse ou la mort de l’aimé(e) – ne saurait menacer. La rencontre se reconnaît déjà dans l’anticipation de la perte.

1. Jimmy P. (psychothérapie d’un Indien des plaines) d’Arnaud Desplechin
2. Cf. plus loin « Christian David un homme de la rencontre »

 

Jean-Pierre Bigeault, psychanalyste,
membre du Conseil scientifique d’orientation de l’EFPP
In Les Cahiers de l’EFPP – N°19 – p.20 – Printemps 2014