Les enfants (aussi) se tuent !

La science de l’enfant n’a pas fait avancer sa cause dans les proportions espérées. L’objectivation de ses troubles n’a eu d’égal que la banalisation de sa souffrance1. La dénonciation de ses privilèges n’a servi qu’à masquer les captations tyranniques (économiques et autres) dont il est devenu l’objet. L’école ne s’est pas réinventée : l’enfance est une terre ancienne et connue, l’éducation une forme d’agriculture un peu mécanisée et armée de pesticides mais résolument – mais sainement – tournée vers le rendement. L’enfant n’a pas à se plaindre. On lui consacre un gros budget !

Sur ce fond de médiocrité imaginative, le suicide de l’enfant fait tâche. S’il se met lui aussi à contester l’ordre vivant, le pacte fondamental, l’espoir dans l’avenir (le progrès), où va cette société déjà dépressive que ses médicaments (et le football à la télévision…) et sa fragmentation abandonnent à son errance et à sa violence.

L’enfant écoute aux portes. Il a l’oreille sur les trous de ce monde, comme Rimbaud sur tel soupirail d’un sous-sol qui est à la fois le non-dit et l’inconscient. L’enfant est un lieu de passage entre la peur et l’espérance : l’odeur du pain, de la vie, peut remonter du pétrin enfoui, l’acidité du levain et des moisissures, la fermentation de l’amour, le traversent. L’enfant est au carrefour des tentations de l’homme : il a tout autant envie de s’élancer que de tomber, de construire des idoles que de rentrer dans les cavernes des dynosaures ?

Mais l’enfant sait d’un savoir difficile qu’il est ainsi divisé : ombre et lumière, il est nuit et jour, il a un double, il est ce qu’il n’est déjà plus, l’ayant perdu, et qu’il reprend à la mort comme un fantôme, il fuit son petit cadavre de polichinelle et le rejoint par une porte dérobée pour le remettre en marche, s’il pouvait le sauver !

Comme au temps de Kafka, l’enfant doit sauver son père, sa mère, son frère, petit christ en nativité d’étable et scolarité d’apprenti transcendantal ; et il rêve de tuer quelqu’un comme Hérode. La toute puissance de son imagination et les perspectives qu’elle abrite lui bourrent la tête.

Il se jette contre un mur, il avale une ampoule, il s’endort dans l’eau au sourire de la mort. Qui n’a vu en soi l’enfant condamné ne comprend rien à l’automutilation, à la drogue et à l’ordinaire de l’échec scolaire qui ne sont qu’un lointain écho à la mort du nourrisson – ce mystère !


1 Derrière la maltraitance reconnue, combien d’enfants choyés sont encore humiliés et offensés !

J.-P. Bigeault
In les Cahiers de l’EFPP – N°16 – p.9 – Automne 2012